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au rang des criminels vulgaires. Le gouvernement anglais ne s’était montré ni violent ni même rigoureux dans la répression du mouvement de mars 1867. Les principaux chefs, et notamment le colonel Burke, qui avait servi naguère avec distinction dans l’armée des états confédérés, ayant été condamnés à mort, un meeting présidé par Stuart Mill demanda la commutation de leur peine, et lord Derby s’empressa de l’accorder. Peu de mois après, le 18 septembre, à Manchester, deux chefs fenians qu’on venait de découvrir et d’arrêter, le colonel Kelly et le capitaine Deasy, étaient conduits dans une voiture cellulaire à la prison de la ville. Au moment où le véhicule franchissait un viaduc, une troupe de fenians en armes apparaît, des coups de feu retentissent, les chevaux sont tués ; on somme l’officier de police Brett de livrer les clés de la voiture cellulaire ; il refuse, on tire sur lui ; il est tué. Les prisonniers sont délivrés. On ne remit jamais la main sur eux, mais on parvint à découvrir quelques-uns de ceux qui les avaient délivrés. Ils passèrent en jugement, et cinq d’entre eux furent condamnés à mort : Allen, un jeune homme de vingt ans, qui fut regardé cependant comme le chef de la bande ; Larkira, O’Brien, Condon ou Shore et Maguire. Condon, qui était citoyen américain, fut gracié à la demande du gouvernement des États-Unis ; Maguire bénéficia de doutes assez sérieux qui s’étaient élevés sur sa culpabilité et dont les rédacteurs des journaux judiciaires s’étaient faits l’écho. Les trois autres furent exécutés. On avait essayé encore de fléchir le gouvernement en leur faveur. On s’était heurté à une résistance absolue de la part de lord Derby. Il avait fait grâce, quelques mois auparavant, à des condamnés politiques : , mais il ne voyait dans Allen, Larkin et O’Brien que des criminels de droit commun.

L’exécution des condamnés de Manchester avait eu lieu le 23 novembre. Moins de trois semaines après, le 13 décembre, à quatre heures de l’après-midi, la population de Londres était misé en émoi par une détonation suivie d’une secousse analogue à celle que produirait un tremblement de terre. Le mur de la prison de Clerkenwell venait de sauter sur une étendue de 80 mètres. Plusieurs maisons du voisinage s’étaient écroulées. Il y avait six morts et cent vingt blessés, dont plusieurs succombèrent après coup ; des femmes accouchèrent avant terme, des enfans moururent en venant au monde. C’était encore un coup des Fenians, et le plus triste de tous. Ils avaient placé un baril de poudre contre le mur de la prison et y avaient mis le feu. Rien ne rachetait, rien ne palliait l’atrocité de ce crime. Sous prétexte de délivrer deux fenians renfermés dans cette prison, on exposait à une mort horrible et ces deux individus, et tous les autres détenus, et les gardiens de la prison, et