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une série d’épisodes sans lien, une histoire sans plan, un poème sans unité, si les commencemens sont inexplicables et les dénoûmens incompréhensibles, si une force aveugle a fait surgir cette fantasmagorie, à un moment donné, de l’éternité muette et doit la replonger à un autre moment dans le chaos informe, si le Hasard, c’est-à-dire une nécessité sans but, a produit le monde et si un autre hasard doit y mettre un terme, à quoi bon s’épuiser à poursuivre le secret de ces combinaisons étrangères à l’ordre de la pensée ? Nous dirons, non plus comme ces Grecs que nous citions tout à l’heure : Ζεῦς παίζει (Zeus paizei), mais : Φύσις παίζει (Phusis paizei) : La Nature joue et se joue de nous.

La vérité est sacrée. Oui sans doute, mais pourquoi et dans quel sens l’est-elle ? Elle l’est parce que nous la rapportons à quelque chose d’auguste et d’éternel, parce qu’elle exprime pour nous quelque chose de la souveraine raison. Arriver au vrai, dit M. Mallock dans un passage que nous résumons, cela signifie qu’on se met en rapport avec cette existence infinie qui nous enveloppe et nous soutient. Si nous avons de suprêmes devoirs envers la vérité, c’est qu’alors, dans l’infini qui n’est pas nous, quelque chose correspond » à ce quelque chose qui est en nous, qui est la plus forte et la plus haute partie de nous-mêmes. Toutes les épithètes morales de sublime, d’auguste, de sacré n’ont absolument aucune signification que si on les applique à des êtres consciens ; mais, au point de vue de la critique positiviste, il n’y a pas de conscience dans l’univers en dehors de la terre. On peut opposer le même argument à tous ceux qui se refusent à reconnaître nettement un Esprit ou une Pensée à l’origine des choses. Nous recueillons avec émotion les avens qui échappent à la piété scientifique de Tyndall lorsqu’il nous dit, dans une sorte d’hymne inspiré, « qu’aux heures d’énergie, de vigueur et de santé, où s’arrête le cours de l’action, où la réflexion prend place en nous, l’investigateur scientifique se sent enveloppé lui-même dans l’ombre d’une terreur sacrée. Elle le soustrait au contact absorbant des détails de la terre et l’associe à la puissance qui donne à son existence tout son nerf et toute sa plénitude sans qu’il puisse ni la comprendre ni l’analyser… Il y a là, ajoute le savant anglais, une sorte de divine communion. » A merveille ; mais nous cessons de suivre le célèbre docteur quand il déclare que « c’est avec la nature qu’il entre en communion divine, que la nature est en même temps spoliée et profanée par les gratuites assertions du théisme… Quand j’essaie, dit-il, de donner au pouvoir dont je vois les manifestations dans l’univers une forme objective personnelle ou autre, il m’échappe et refuse de se laisser toucher par mon intelligence. Je n’oserais autrement qu’en poésie me servir à son égard du pronom Lui. Je n’ose l’appeler un Esprit. Je