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pousse à la jouissance immédiate, au sensualisme, à l’épicurisme égoïste et à la décadence[1].

Cette opposition, qui se retrouve au cœur même de l’homme, est exprimée, en vers que chacun sait, au début de Rolla :


: Regrettez-vous le temps où le ciel, sur la terre,
: Marchait et respirait dans un peuple de dieux ?
:………..
: Et quand tout fut changé, le ciel, la terre et l’homme,
: Quand le berceau du monde en devint le cercueil…


C’est le contraste d’Athènes et de Jérusalem, de la Grèce et de Rome chrétienne, la lutte des Grecs et des Nazaréens, du spiritualisme judéo-chrétien et de l’hellénisme, « duel qui n’est point encore terminé, dit Henri Heine, et qui ne le sera peut-être jamais. » D’autres poètes s’en sont inspirés ; par exemple, M. Leconte de Lisle, dans le Dialogue d’Hypatie et de Cyrille. Telle est aussi l’antithèse que M. Gregorovius a cherchée dans Athénaïs. « C’était le temps où le paganisme antique, dans la ville de Platon, livre à la foi chrétienne le dernier combat désespéré, où les anciens dieux de l’Olympe sont engloutis dans une effrayante conflagration, où les rois barbares, Alaric, Genséric et Attila, comme des cavaliers apocalyptiques, promènent leurs bandes dévastatrices à travers les pays de la vieille civilisation, où les grands théologiens chrétiens, leurs alliés dans la destruction du beau monde antique, Jérôme, Augustin, Jean Chrysostome, les deux Grégoire grecs, Cyrille et le pape Léon Ier fixent l’édifice dogmatique de l’église, et où enfin cette bizarre création grecque asiatique, le byzantinisme, commence à montrer sa première physionomie déterminée. »

Fidèle à sa méthode, M. Gregorovius a cinglé vers Athènes pour y chercher l’inspiration de son livre. Gibbon a raconté comment, assis un jour à rêver au milieu des ruines du Capitole, pendant que les moines déchaussés étaient à chanter vêpres dans le temple de Jupiter, l’idée d’écrire la décadence et la chute de la ville éternelle se présenta pour la première fois à son esprit. C’est sans doute en souvenir de ce passage que l’auteur allemand écrit dans sa préface : « Lorsque, sur l’Acropole, assis devant le temple de la Victoire aptère ou devant le Parthénon, on s’abîme dans la méditation de l’histoire de la Grèce, alors apparaissent à l’imagination exaltée, plus claires et plus personnelles, les figures du passé, et l’on est bientôt, comme Ulysse dans le royaume des

  1. Dans son cours d’esthétique à l’École des beaux-arts, Italie, Ve leçon, M. Taine présente avec le relief de pensée et d’expression que l’on connaît ce double point de vue que nous venons de résumer.