chimères, qui ne pouvaient être un solide appui pour le bonheur ou la moralité, et qu’en transformant les conditions et les aspects de la vie, ils n’en ont pour cela diminué ni le sérieux ni la valeur.
M. Littré a montré à plusieurs reprises le noble souci de ne pas laisser décroître entre ses mains ce trésor moral de l’humanité. Dès 1851, il esquissait la théorie positive du bonheur. Elle vaut la peine d’être résumée ; car elle contient en germe toutes les réponses qui seront faites plus tard par les penseurs de cette école à cette grave question de la destinée.
Dans ces temps d’anarchie, disait-il, où les uns se lamentent sans fin sur l’imminence de la ruine, où les autres se laissent aller à d’ardentes passions de destruction, où beaucoup sont saisis d’un scepticisme énervant et d’une égoïste mélancolie, il est salutaire de montrer à tous qu’on n’a ni à se lamenter sur le passé qui s’évanouit, ni à s’user dans les colères de la destruction négative, ni à se perdre misérablement dans les langueurs du scepticisme, mais qu’on peut et qu’on doit vivre l’esprit clair, l’âme sereine et le cœur ardent. Cela est-il possible avec la doctrine nouvelle ? Assurément. Qui empêche les positivistes d’atteindre, d’une autre manière et par d’autres procédés, à ces biens inestimables, la clarté de l’esprit, la sérénité de l’âme, l’ardeur du cœur ? Aimer est la première condition de la félicité promise et réalisée par la philosophie positive. Elle inspire l’horreur de ce monde de violence, de guerre, de domination privilégiée, de richesse égoïste où nos prédécesseurs ont trop longtemps vécu. Elle inspire l’énergique désir d’en sortir. Elle ouvre à nos instincts sympathiques une carrière infinie, non pas dans un séjour surnaturel, mais sur notre terre, dans la continuité de la vie humaine, dans l’héritage permanent des générations. — Connaître est le second terme de la satisfaction de notre âme, et qui mieux que la science positive peut lui donner cette satisfaction ? Quel puissant révélateur que le savoir scientifique, étalant devant nous le spectacle réel de ce que nous voyons de la nature, spectacle dont les anciens n’avaient aucune idée ! Les immensités se sont ouvertes ; les soleils y cheminent comme des points lumineux. Les antiquités se sont agrandies comme les espaces ; l’homme est ancien, et avant lui la vie s’était manifestée sous toutes sortes de formes d’autant moins complexes qu’on remonte plus haut, jusqu’à ce qu’enfin on rencontre les terrains primordiaux vides de tout organisme. Voilà la réalité dans toute sa grandeur, dans toute sa beauté, dans toute sa terreur. — De graves et salutaires émotions s’élèvent dans le cœur à la vue de cette réalité et nous répétons avec Dante : Il naufragar in questo mar è gioia : S’abîmer dans cette mer est une joie. — Servir est le