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profondeur et le meilleur de leur éclat. Si, par un procédé subtil, on l’enlève, tout se ternit et se décolore[1].

On peut déposséder l’humanité de ses dogmes actuels, mais non pas des effets qui ont produit ces dogmes dans le cours des siècles. Dissimulés sous des formes diverses, ils ont envahi, pénétré la vie morale ; ils l’ont prise d’assaut, et maintenant ils se présentent à nous, plus ou moins cachés, dans toutes nos idées et nos espérances, dans tous nos intérêts et même dans nos plaisirs. Aussi rien de plus difficile, pour l’homme moderne, que de se faire positiviste en réalité et dans toutes les conséquences que le mot comporte, de s’abstraire violemment de dix-huit siècles de christianisme, de plus de vingt-deux siècles de métaphysique qui pèsent sur lui. Que l’on essaie de calculer combien de spiritualisme, après ce long temps, reste incorporé dans les notions et dans les sentimens de l’humanité, quelle quantité d’idées morales est emmagasinée dans la conscience des générations, comme la chaleur du soleil l’est dans la houille ou dans le diamant. Cette conscience historique de l’humanité est restée, à son insu, religieuse. On nous reprochera peut-être d’employer ce mot d’une manière trop générale pour designer tous les éléments idéalistes qui sont entrés par l’action des siècles dans l’âme des peuples d’Occident. De telles notions sont, je le sais, d’origines bien diverses. Plusieurs proviennent des philosophies ; elles ont pris naissance dans la réflexion libre de la pensée sur elle-même. Mais ces idées philosophiques, ce spiritualisme séculier, si je puis dire, n’ont exercé leur empire direct que sur un petit nombre d’intelligences d’élite. Le grand courant des générations y est resté étranger. Elles n’ont eu d’accès dans la masse de l’humanité qui à travers les influences religieuses et à la condition de se confondre avec elles. C’est pour cette raison que, toutes les fois que nous venons à considérer ce grand phénomène historique, la formation de la conscience humaine à travers les âges, nous résumons sous le terme le plus clair, le plus compréhensif et le plus usuel tous les élémens similaires qui sont entrés successivement dans la composition de cette essence complexe. Quelle que soit la hauteur de ses origines et la grandeur des esprits qui la représentent, la métaphysique n’aura eu dans l’histoire de l’humanité qu’un rôle secondaire si on le met en regard de celui que les religions ont rempli sur la scène du monde.

Voilà ce que comprennent quelques-uns des chefs des écoles nouvelles. Aussi est-ce directement à l’élément religieux qu’ils s’attaquent, ne doutant guère qu’il n’entraîne dans sa ruine le

  1. W. Mallock, pages 91-95. (Paris, 1882 ; Didot. )