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« Les hommes du passé sont des problèmes pour ceux qui les jugent. Quand nous n’échappons point aux plus grandes méprises, dès que nous voulons comprendre les figures cou nu es des contemporains, à quelle erreur ne sommes-nous pas exposés aussitôt que nous nous représentans l’intime essence des hommes qui se dressent devant nous comme des ombres, car toutes les circonstances de leur vie personnelle, toute la trame des conditions de nature, de temps et de milieu qui les a formés et les secrets les plus profonds de leur être, nous ne les avons sous la main qu’a l’état de fragmens, de suite interrompue de faits dont il nous faut former un caractère. »

Sans doute bien des traits modernes se glissent sous la plume quand nous essayons de faire revivre les hommes d’autrefois. Cependant une psychologie supérieure, qui tient aussi de la divination, permet de découvrir les secrets mobiles des caractères. Il semble que M. de Ranke ait pénétré plus avant au cœur de la papauté, à des époques, il est vrai, beaucoup plus rapprochées de nous. Pour suivre en ses profondeurs et ses replis le catholicisme du moyen âge, il faut l’âme vibrante et voyante d’un Michelet ou l’insinuante et universelle sagacité avec laquelle un Sainte-Beuve a pu réveiller en plein XIXe siècle les vieux messieurs de Port-Royal. Nous exprimons là trop brièvement et d’une façon assurément trop tranchante et trop absolue ce qui exigerait plus de nuances, de tempéramens, un cortège de preuves, mais aussi un plus long discours.


IV

Aux deux points extrêmes du moyen âge, au Ve siècle qui en est le prologue, et au XVe, qui en a marqué le dénoûment, M. Gregorovius a choisi et dressé sur un piédestal savamment orné deux figures de femme, deux princesses, l’une byzantine, l’autre italienne, qui sont comme la vivante image de leur époque. Les destinées de la païenne Athénaïs, convertie au christianisme, devenue la femme de Théodose II, impératrice de Byzance, puis exilée du trône et terminant ses jours dans la morne solitude d’un monastère de Palestine, ces destinées traversées par d’étranges hasards et par les plus éblouissans caprices de la fortune, reflètent avec éclat le pêle-mêle agité des mœurs, la mobile confusion des esprits, la lutte du monde antique expirant et de l’esprit nouveau, le triomphe de la croix, la défaite et la déchéance des dieux de la Grèce.

Ces dieux vaincus devaient mille ans plus tard, au temps de la renaissance païenne du XVe siècle, secouer la poussière des ruines et ressusciter triomphans au cœur même de Rome, à la cour du pape. Cédant à son goût pour les époques de transition, M. Gregorovius