Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/48

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

esprit de domination et d’ambition terrestres, sans rigidité dogmatique, se développant à mesure que le cercle de la vie s’élargit, élastique comme elle, avait marché du même pas que le mouvement de la société et de la science, il n’y aurait pas eu de forme cosmique plus élevée, dans laquelle l’humanité eût eu la conscience permanente de son unité et de son harmonie. Mais, après l’écoulement de sa première et magnifique époque, la papauté, dans, le grand drame de l’histoire, est devenue le principe essentiellement rétrograde. La plus grande idée qui soit dans l’instinct du monde n’a pas été réalisée ; pourtant il suffit qu’elle ait vécu un jour dans la papauté pour en faire la plus vénérable des institutions que l’histoire ait jamais vues, et parce que la ville de Rome était le théâtre classique de cette idée, elle s’est assuré par là, à jamais, l’amour patriotique de l’humanité. »

Si nous résumions pour nous-mêmes et dans des notes rapides l’impression de cette lecture avec la pleine licence de plume que, simple lecteur, on se permet même à l’égard des ouvrages considérables, sans viser le moins du monde à un jugement en dernier ressort, sans vouloir abuser de ce qu’il n’a pas été traduit, n’ignorant pas d’ailleurs que l’esprit d’une grande œuvre ne se reproduit pas en quelques lignes, nous dirions de M. Gregorovius : Il est écrivain ; dans cette histoire si touffue, où tant de points restent encore à étudier et tant de découvertes à faire, il a eu le mérite de tracer les grandes lignes, d’ouvrir les avenues. Nous considérons trop volontiers les Allemands comme novices dans l’art de composer un livre : un jugement aussi sommaire ne saurait s’appliquer à notre historien. Sans perdre de vue la philosophie de l’histoire, la marche des idées, le fil conducteur qui relie les événement, il n’abuse pas des considérations générales. Ses récits ont parfois la vivacité et le relief des anciennes chroniques. La partie de son œuvre traitée avec maîtrise est celle qui concerne les rapports des papes et des empereurs ; on sent qu’il y a donné tout son cœur d’Allemand. Il met en lumière ce double aspect des siècles qu’il raconte, à la fois barbares par l’ignorance, la superstition, et romantiques par l’aspiration mystique au surnaturel, l’effort douloureux et la lutte violente pour réaliser l’idéal chrétien. Mais peut-être ne s’est-il pas enfoncé assez profondément dans le catholicisme du moyen âge, dans cet état d’âme et d’imagination si singulier, si éloigné même de nos mœurs religieuses, partant si difficile à saisir dans ses origines et dont les événemens extérieurs ne sont que les manifestations variées. Comme conséquence, il voit trop uniquement les personnages par le dehors, il les dessine plutôt qu’il ne les peint. M. Gregorovius semble répondre d’avance à cette critique lorsqu’il marque une juste défiance pour les prétendus portraits historiques :