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à son orgueil, qui contrariaient toutes les traditions de sa politique. La France, de son côté, ne pourrait que se sentir fortifiée, garantie par l’alliance anglaise, par des habitudes d’action ou de délibération commune avec la plus grande des nations occidentales. Les deux pays surtout auraient trouvé un égal avantage à se concerter jusqu’au bout dans ces affaires d’Egypte où rien de sérieux ne les divisait depuis longtemps, où par des raisons différentes ils poursuivaient un même but. Il n’y a qu’un malheur, c’est que, si l’Angleterre, par des raisons diverses, par un certain sentiment de défiance et de réserve, n’a pas paru rechercher bien vivement notre alliance, la France à son tour n’a sûrement pas fait ce qu’il fallait pour vaincre les hésitations britanniques, pour gagner les Anglais à une action sérieusement combinée.

M. Gambetta a cru la conquérir, cette alliance anglaise, par sa hardiesse, par son esprit d’initiative ; il s’est presque flatté de l’avoir tenue dans ses mains : il ne s’est pas aperçu qu’il inspirait plus de curiosité que de confiance à un gouvernement pratique et sensé comme le gouvernement anglais, qu’il se créait à lui-même une sorte d’irrémédiable impuissance par sa légèreté, par son entourage, par le ministère qu’il avait formé, par ses engagemens de parti, par les projets excentriques qu’il présentait comme le dernier mot de sa politique. Il manquait d’autorité pour suivre jusqu’au bout un dessein extérieur, on ne le prenait pas au sérieux. Son successeur, M. de Freycinet, n’a certes rien fait pour reprendre avec plus de gravité et de suite la politique de l’alliance anglo-française. Il a paru plutôt dès le premier jour préoccupé de dégager le cabinet de Londres, de se dégager lui-même en maintenant une certaine apparence d’entente inactive, et à dire vrai on est toujours à se demander ce que veut réellement M. le président du conseil. Il a eu cependant plusieurs fois depuis quelques semaines l’occasion de répondre à des interpellations qui se sont succédé dans le parlement. Ces jours derniers encore, il s’est expliqué au sujet d’une demande de crédits que M. le ministre de la marine a portée à la chambre des députés, qui en ce moment même est examinée dans une commission avant d’être l’objet d’une discussion publique. La difficulté est toujours de saisir le secret de la diplomatie de M. le président du conseil. M. de Freycinet ne veut point imiter M. Gambetta ; il n’est pas pour une intervention française, qu’il a appelée une politique d’aventure. Il n’est pas même pour une intervention avec l’Angleterre, pour une apparence d’action particulière avec le cabinet de Londres, puisqu’il a laissé les vaisseaux anglais aller seuls au feu. D’après ce qui a été révélé par de nouveaux papiers anglais tout récemment publiés, M. de Freycinet ne se serait, d’un autre côté, rallié qu’avec bien des façons, à la dernière extrémité, moyennant qu’on lui gardât le secret, à cette idée d’une intervention turque dont il sent le