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Si l’on voulait citer des morceaux, on choisirait chez notre historien deux scènes immortelles de la papauté : Léon Ier devant lequel l’effroyable Attila se retire, Henri IV dans sa chemise de pèlerin, prosterné aux pieds de Grégoire VII. La dictature morale que donnait aux papes la foi des peuples s’y révèle dans tout son éclat. L’action des moyens spirituels, l’ascendant de la force morale, voilà ce qui élève parfois le moyen âge au-dessus de notre temps. On peut aimer ou haïr l’autorité du prêtre, mais « la victoire de ce moine sans armes a droit à l’admiration du monde plus que toutes les victoires d’un Alexandre, d’un César ou d’un Napoléon. »

Dans la diversité et le malheur des temps, au milieu des invasions, des assauts, des pillages, des guerres civiles, des pestes affreuses, à travers cette mêlée d’où s’élève une immense clameur confuse faite de cris de haine et de chants sacrés, l’église poursuit son œuvre, la plus grande qui ait été jamais tentée, celle d’une société de peuples réunie par un lien moral. Noble éducatrice de l’Europe au moyen de ses établissemens religieux, gardienne dans ses cloîtres des reliques de l’antiquité grecque et latine, elle élève les peuples par la foi, l’espérance et le remords à une existence supérieure : « Des bienfaits sont sortis de Rome, des maux aussi, inquisition, bûchers, superstitions, asservissement des consciences ; mais devant une conception historique supérieure, puissent même les sombres tourmens des siècles s’adoucir et les péchés de la vieille despote des peuples être compensés par la puissance de l’idée religieuse et la grande pensée de l’harmonie du monde que représentait Rome et par laquelle elle a affranchi l’Europe du chaos de la barbarie et de l’anarchie brutale ! » Citons encore ce tableau de la papauté idéale telle que la conçoit notre auteur ; rien ne peut mieux rendre la pensée dominante qui l’a guidé à travers cette histoire et le jugement d’ensemble auquel il aboutit :

« Qui pourrait nier que l’idée d’une sainte ville cosmopolite de la paix éternelle au milieu des combats de l’humanité, d’un asile général et toujours paisible de l’amour, de la civilisation, du droit et de l’apaisement, ne soit une idée grande et admirable ? Si le divin pouvait être figuré en toute pureté dans l’ordre des choses humaines, le pape en eût été l’image par l’idée même qu’il représente ; si l’institution de la papauté, fondée sur l’amour et la liberté, sans