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mort, un gémissement douloureux s’exhale aussitôt couvert par un cri de victoire que tous les instrumens à vent entonnent à pleine embouchure ; on sait que les airs sonnés par la trompe doivent changer selon que la situation de la chasse l’exige, Méhul ne pouvait sans un contresens se borner à un ou deux motifs principaux ; il a donc réglé l’ordonnance de ses mélodies sur celle du tableau qu’il avait à peindre, s’attachant à reproduire avec fidélité les divers appels consacrés, et mis en toute valeur un effet employé déjà par Philidor dans Tom Jones et par Haydn dans les Saisons. Cette succession de fanfares traitée, enlevée haut la main, donne à la symphonie on caractère original qui, même aujourd’hui, n’a rien perdu de sa fraîcheur, de sa jeunesse ; cet hallali de la strette présenté si carrément et d’une si verte allure, ces accords sabrés par l’archet sur les. derniers traits des instrumens à vent, tout cela devance son temps et conserve encore bien de l’intérêt. C’est un chef-d’œuvre de naturel que cette ouverture, un morceau écrit de verve, assez savant pour contenter les difficiles et que plus de science gâterait ; ce qui d’ailleurs n’empêche nullement l’ouverture du Freischütz d’avoir son mérite. Volontiers, on les opposerait l’une à l’autre comme deux modèles faits pour représenter deux écoles, j’allais presque dire, deux civilisations, celle-ci âpre et mystique, répercutant l’écho sinistre des profondeurs, celle-là d’un réalisme tout galant, bien lancée, bien troussée en son habit à la française : — deux sujets déboute vénerie, l’un qui pourrait être d’un Albert Dürer coloriste, l’autre que Watteau ou Fragonard signerait.

En musique, l’exclusivisme joue un rôle énorme, et c’est presque toujours par l’abus des contraires que l’on périt ; tantôt on sacrifie le vrai à ce qui plaît, tantôt le vrai l’emporte et veut régner au préjudice de l’aimable. Et remarquez que ces deux tendances ne se manifesteront pas seulement au cours d’une période, vous les trouverez luttant et se combattant dans la personne du même artiste. Qu’arrive-t-il alors ? Ou l’une des deux écarte l’autre, ou la lutte reste indécise en ce sens que les tendances ; vont en alternant, ou finalement chacune rabattant de ses prétentions exagérées, vous voyez un régime de paix s’établir dans la fusion et l’harmonie des deux tendances. Constatons que l’heure de cette transaction est aussi d’ordinaire celle qui pour un artiste marque le point culminant. Chez Méhul, il semble que la partition de Joseph ait dû être le résultat d’une pareille crise. Avant d’en arriver là, Méhul avait fort bataillé sur le terrain de l’expérimentation, sacrifiant, dans Euphrosine et Coradin, le plaisant au sévère, poussant dans Uthal le rigorisme ossianique jusqu’à remplacer les violons par des altos, ce qui faisait dire à Grétry son fameux mot du « louis d’or pour une chanterelle, » d’autres fois courtisant les grâces légères dans une Folie, ou, dans l’Irato, s’efforçant de rire malgré Minerve en s’affublant du masque des bouffons.