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allemands qu’il faut se procurer, ou du moins écrits en allemand, mais surtout des livres anglais.

Cette variété de connaissances que nous louons dans Macaulay reposait-elle sur un fonds de science qu’il eut pour ainsi dire constamment à sa disposition, ou l’acquérait-il, au contraire, à mesure, dans les livres mêmes qu’il étudiait, ou plutôt qu’il refaisait, et selon le besoin du moment ? La question vaut la peine d’être au moins posée.

Sainte-Beuve, qui savait beaucoup de choses, mais à qui manquait un peu cette connaissance de l’histoire générale, et aussi de l’antiquité, disait d’un homme qu’il n’aimait guère, « qu’il avait l’air de savoir de toute éternité ce qu’il avait appris le matin même. » Je vois bien la malice, mais je ne la comprends pas. Sainte-Beuve lui-même savait-il donc par avance tant de choses sur les Arnauld et sur le jansénisme quand il commença de faire un cours sur Port-Royal et de publier le premier volume d’un livre qui n’en est pas moins son chef-d’œuvre ? Mais c’est ici précisément le propre de la faculté critique. Les auteurs ne le savent pas ou ne veulent pas le reconnaître qui s’étonnent si souvent et si naïvement de tenir si peu de place, eux et leur livre, dans l’examen qu’on veut bien faire de leur sujet. Même lorsqu’ils sont de bonne composition, et qu’ayant soumis leur œuvre au jugement de la critique, ils accordent qu’elle a le droit (en se trompant, cela va sans dire) de la trouver médiocre, ils semblent croire que le rôle de la critique soit de les mettre eux-mêmes en avant et de leur servir complaisamment d’intermédiaire pour arriver jusqu’à l’oreille du public. Erreur ! Erreur complète, erreur dangereuse, mais erreur impertinente quand il s’agit d’un Macaulay ! Le rôle de la critique est d’examiner, avant tout et par-dessus tout, ce que les sujets comportent de ressources, et de ne tenir compte des livres qu’autant que le sujet y est traité, comme disaient nos pères, selon sa vraie constitution. Ainsi procède Macaulay. Peu importe ce qu’il pouvait savoir du sujet avant de l’étudier à fond, s’il n’en connaissait que les grandes lignes et la superficie, ou s’il le possédait à la fois dans l’ensemble et dans le détail. Le fait est qu’il n’a pas plus tôt commencé de lire qu’il a vu si le sujet était bien ou mal pris, s’il valait le développement que l’auteur ou le compilateur lui donne, s’il soutenait les rapports qu’il faut dans toutes ses parties et avec les sujets qui confinent ; et presque toujours l’auteur est mis de côté, le livre refait, et le sujet disposé comme il devait l’être, avant que la lecture soit achevée. Le compte alors du malencontreux auteur est promptement réglé. Quelques lignes y suffisent, mais de ces lignes dédaigneuses, dans la manière ironique et grave de Swift, que Macaulay reproduit quelquefois avec un singulier bonheur. « Ce livre semble avoir été manufacturé en vertu d’un contrat par lequel la famille, s’engageait à fournir des papiers et le compilateur