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nous leur ôtions la facilité d’y contredire, qui est la principale ressource du dilettantisme ? Et puis, les lieux-communs le sont-ils tant ? Est-ce un lieu-commun que de dire que les tragédies de Racine sont des chefs-d’œuvre et que de se reprendre à le démontrer ? Évidemment oui. Combien pourtant rencontrerez-vous de gens, gens cultivés et gens d’esprit, pour vous dire que, si ce sont des chefs-d’œuvre, ce sont au moins des chefs-d’œuvres ennuyeux ; sans réfléchir, il est vrai, que ce pourrait bien être eux qui fussent dignes d’être ennuyés ? Est-ce un lieu-commun encore que de dire qu’il y a certaines scènes et certaines représentations de la réalité que l’artiste, s’il est digne de ce nom, doit absolument s’interdire ? Évidemment oui. Mais à combien de gens entendrez-vous cependant professer que l’art purifie tout ce qu’il touche, et qu’il faut être, en 1882, le dernier des philistins pour oser parler seulement de moralité dans l’art. Est-ce un lieu-commun que de dire qu’il y a toujours de la bête dans l’homme, des appétits grossiers, des instincts violens et le reste, que je vous épargne ? Évidemment oui. Combien là-dessus trouverez-vous de journalistes et d’hommes politiques, combien de publicistes et de législateurs qui raisonnent, qui parlent et qui votent comme si l’homme était né naturellement bon et qu’il n’y eût qu’à favoriser le libre et l’entier développement de ses instincts et de ses appétits ? D’où je conclus que les lieux-communs, encore une fois, ne sont peut-être pas si communs, que ceux qui s’en moquent les redoutent souvent beaucoup plus qu’ils ne voudraient en avoir l’air, et que, si les dilettantes peuvent penser que Macaulay perd quelquefois bien du temps et bien de la peine à consolider des vérités que personne n’attaque, ou à dissiper des sophismes que personne ne soutient, les autres, ceux qui ne se piquent pas de dilettantisme, ne peuvent que lui savoir gré d’avoir eu le courage le plus rare qu’il y ait en critique, c’est le courage du lieu-commun.

Je serais bien fâché pour ma part que ces dissertations philosophiques et morales, où se complaît si visiblement Macaulay, fussent moins nombreuses dans ses Essais, ou seulement moins développées. Sans doute, il y en a qui sont un peu longues, ou même qui ne sont pas à leur place et qui ne tombent pas toujours très heureusement en leur temps. Elles n’adhèrent pas au fond du sujet assez étroitement, et ni l’utilité morale ni l’intérêt littéraire n’en apparaissent assez clairement. Telle est, par exemple, pour n’en citer qu’une, dans l’Essai sur Addison, cette dissertation célèbre sur la querelle d’Addison et de Pope. Pope voulait refondre sa Boucle de cheveux enlevée, et Addison le lui déconseillait, mais le poète résista contre l’avis d’Addison, et le succès lui donna raison. Il s’agirait du destin des empires que Macaulay ne déploierait pas un plus imposant appareil d’argumens et de preuves qu’il ne fait ici pour justifier Addison, dans cette mémorable