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pamphlet[1]. Nous ne possédons même pas une traduction scrupuleusement exacte de l’Histoire des papes des quatre derniers siècles par M. de Ranke, cité, quoique protestant, comme une autorité, du haut des chaires catholiques : mais le texte original, rendu on français, a été altéré par excès de pieux zèle. Nous souhaitons que M. Gregorovius, s’il trouve un traducteur, ne tombe pas entre des mains engagées dans la controverse[2].

On ne saurait attendre de nous la critique d’un ouvrage[3] qui demanderait à lui seul une étude compétente et approfondie. Nous devons nous borner à indiquer par quelques traits quel esprit anime cette œuvre considérable, qui ne comprend pas moins de dix siècles, du Ve jusqu’à la fin du XVe, depuis l’invasion des barbares jusqu’à la renaissance. Elle présente l’intérêt, l’animation, la variété, d’un drame de Shakspeare, sur la scène la plus haute, en présence de tous les peuples d’Europe, d’autant plus agités par les émotions de l’action sanglante que leur propre destinée s’y joue.

Fidèle à sa méthode, M. Gregorovius s’attache surtout à peindre avec un soin extrême le décor de la ville éternelle dans ses transformations successives. C’est à la longue étude, à la patiente observation des monumens, qu’il demande l’inspiration et l’intuition nécessaires à sa longue entreprise. Il se félicite d’avoir pu contempler « la ville décomposée par le temps, encore couverte de la rouille des siècles. Le charme mélancolique de la barbarie du moyen âge y régnait. Papes et cardinaux se mouvaient sur cette scène comme des personnages traditionnels, tandis que les mines séculaires, qui toutes encore n’étaient pas fouillées, pédantesquement nettoyées et archéologiquement civilisées, rappelaient toujours dans leur abandon pittoresque les mirabilia urbis Romœ. J’ai donc reçu ainsi autrefois le dernier souffle de l’historicité de la Rome du moyen âge et sans elle je n’aurais jamais eu l’idée d’écrire cette histoire. »

La seule topographie de cette Rome, « dont le nom a roulé pendant des siècles comme un tonnerre, » la seule description des monumens nous dirait d’âge en âge toutes les destinées du peuple, toutes les transformations de la pensée humaine, écrite en blocs de pierre. Nous assistons à la ruine lente de l’énorme cité des césars, rongée par le ver secret d’un despotisme sans âme, à la lente construction de Ja ville chrétienne qui fait surgir des catacombes tout

  1. L’Histoire de saint Pie V, par M. le comte de Falloux, est une apologie ; l’Histoire des papes, de M. P. Lanfrey, est un pamphlet dirigé contre le pouvoir temporel.
  2. A côté de M. de Ranke et de M. Gregorovius, nous ne pouvons omettre M. de Reumont, dont l’Histoire de Rome a été inspirée par le plus noble dévoûment au saint-siège.
  3. Geschichte der Stadt Rom im Mtitelalter, 8 vol., 3e édit., 1875.