pour l’historien que pour le romancier, — le dénoûment de l’histoire du moyen âge, que M. Gregorovius salue dans cet événement, c’est le couronnement des efforts si longtemps stériles des tribuns de Rome et des empereurs d’Allemagne contre l’omnipotence des papes. L’auteur oublie seulement le rôle de la France dans cette entreprise de destruction : il oublie de rappeler que la révolution française y a conquis sa part d’honneur, ou, si l’on veut, d’indignité. Mais en même temps que le pouvoir temporel des papes semble s’abîmer à jamais, la papauté grégorienne s’achève dans la déclaration d’infaillibilité, et l’antique querelle, aussi vieille que le catholicisme, et qui durera autant que lui, la querelle des deux souverainetés, la lutte temporelle et spirituelle du pape et de l’empereur, du prêtre et du roi, se rallume plus ardente, malgré l’affaiblissement matériel de la papauté ; guelfes et gibelins sont toujours aux prises. M. Gregorovius ne se fait pas d’illusions : les empereurs d’Allemagne répéteront peut-être encore plus d’une fois ce mot mélancolique de Frédéric II : « O heureuse Asie ! ô heureux monarques de l’Orient, auxquels les inventions des papes ne préparent aucun chagrin. » Peut-être même les successeurs de Henri IV feront-ils quelques pas sur la route de Canossa émaillée de fondrières ; mais du moins Frédéric Barberousse ne dort plus dans sa montagne du Kyffhaürer, et l’œuvre que l’empereur Henri VI s’était efforcé de constituer, un empire d’Allemagne sous une dynastie héréditaire, est devenue une réalité. Enfin l’inévitable, l’inoubliable Conradin est vengé pour toujours. Les Italiens avaient noyé leur haine dans le sang des vêpres siciliennes, les Allemands ont repu la leur à Sedan : « Je ne pense pas, s’écrie M. Gregorovius, qu’il ait été donné à aucun Allemand avant moi de considérer avec des sentimens aussi élevés le champ de bataille de Conradin. » Ainsi se termine la lutte séculaire du germanisme et du romanisme par le triomphe définitif du germanisme.
Il faut rendre à M. Gregorovius cette justice qu’il ne conçoit la domination du germanisme qu’à l’état « de lien national qui, au cœur de l’Europe, protégera et fortifiera la paix, la liberté et le travail de la civilisation de l’Occident… Ce ne sera pas un gouvernement de césars conquérans d’après l’ancien système… car la nation allemande est patiente et juste… L’Allemagne est une terra sacra, un sanctuaire de la pensée, un temple de la science. » Un temple, mais aussi une caserne, un arsenal ; et n’est-il pas à craindre que « la voix rauque » du caporal prussien n’effarouche les blondes muses de la Germanie et ne les chasse au fond des bois dans des retraites inaccessibles ? Dès lors, l’Allemagne ne risque-t-elle pas de perdre cette régence intellectuelle du monde que M. Gregorovius décernait à la France en 1848 et qu’il prédit maintenant à sa patrie en termes immodestes :