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conscience immédiate, dans la réflexion sur nous-mêmes et, par nous-mêmes, sur l’absolu auquel nous participons, de la cause ou raison dernière. » Ce n’est pas là seulement une métaphore poétique, c’est une conception toute métaphysique. Or, il y a une première contradiction entre une conscience simple, indivisible, et la conscience d’une participation à l’absolu, c’est-à-dire d’une division de l’unité absolue en parties, d’une « dispersion, » d’une « réfraction, » d’une relation dans l’absolu. Il y a, de plus, une seconde contradiction entre la conscience de la perfection et la conscience d’une participation imparfaite à la perfection, car on aboutit alors à la conscience d’une perfection imparfaite. En un mot, si nous sommes parfaits, comment sommes-nous en proie au désir, et si nous sommes imparfaits, comment pouvons-nous avoir « la conscience, l’expérience » de la perfection ?

La perfection, et surtout la seule digne de ce nom, la perfection morale, est donc, au moins pour notre pensée, un simple idéal ; aucune « expérience, » ni extérieure ni intérieure, ne nous apprend si cet idéal est en lui-même une réalité. Dès lors, il ne reste plus aux spiritualistes qu’une ressource : c’est de prétendre que, pour la raison et a priori, l’idée même de la perfection implique l’existence. M. Ravaisson semble l’admettre, lorsqu’il oppose à ceux qui conçoivent la perfection comme un simple idéal l’éloquente interrogation de Bossuet : « Pourquoi l’imparfait serait-il et le parfait ne serait-il pas ? Est-ce à cause qu’il est parfait, et la perfection est-elle un obstacle à l’être ? » Mais à cette vague idée de perfection substituons le nom plus précis que M. Ravaisson lui donne, et la question deviendra la suivante : « Pourquoi l’amour relatif et imparfait serait-il et l’amour absolu ne serait-il pas ? » Sous cette forme, nous saisissons encore mieux les difficultés du problème telles que Kant les a montrées. Pour prouver l’existence d’une chose, il ne suffit pas d’une simple interrogation : — Pourquoi n’y aurait-il pas des hommes dans Sirius ? Pourquoi la terre ne tomberait-elle pas demain sur le soleil ? — Il faut prouver d’abord la possibilité, puis la réalité de ce qu’on affirme. En ce qui concerne la possibilité, Kant l’a fait voir, autre chose est l’absence de contradiction d’une idée avec soi, qui en rend la conception possible pour nous, autre chose sont les conditions qui rendent l’objet même réellement possible en soi. Or M. Ravaisson n’a pas fait voir que l’idée d’amour absolu n’implique aucune relation, aucune contradiction, et soit réellement possible à concevoir pour nous d’une conception qui ne se détruise pas elle-même. Quant aux conditions qui rendent possible en soi l’amour infini, nous ne les connaissons pas ; nous ne savons donc si un tel amour est possible ou impossible en réalité. En revanche, en supposant que l’amour absolu ne soit ni contradictoire pour nous ni impossible