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barbiches et d’épaisses moustaches, comme un Wallenstein ou un Tilly. Dans le siècle de Henri IV et de la guerre de Trente ans, tous les papes ressemblent à des officiers en campagne et à des généraux de cavalerie. » — C’est comme une revue de tous les crânes de la papauté : nouvel Hamlet, M. Gregorovius les a pesés dans sa main, murmurant, en forme de conclusion, ces trois mots de saint Grégoire le Grand, d’une mélancolie si profonde en leur brièveté ; Fructus mundi ruina.

Après avoir fréquenté les tombeaux des papes, l’historien voyageur parcourt l’Italie méridionale, à la recherche de tous les souvenirs de leurs mortels ennemis, les empereurs allemands de la maison de Souabe, et surtout du glorieux Frédéric II, « le brave, l’accompli, l’infortuné empereur Frédéric II, dit Macaulay, un poète dans un âge d’écoliers, un philosophe dans un âge de moines, un homme d’état dans un âge de croisés, » et de ses malheureux descendans, les derniers Hohenstaufen, Conrad, Manfred et Conradin[1]. Qu’on imagine les sentimens d’un légitimiste breton en pèlerinage à Quiberon ou à Sainte-Anne d’Auray, et l’on pourra se rendre compte de la ferveur avec laquelle M. Gregorovius visite Foggia, Andria, Castel del Monte, Lucera, Manfredonia, Bénévent, Tagliacozzo, évoque des scènes vieilles de sept siècles. Cela pourra sembler d’un pédantisme exagéré, mais leur propre histoire est pour les Allemands une religion.

Cet itinéraire du patriotisme allemand a été écrit après les années 1866 et 1871. Témoin de la guerre des volontaires de Garibaldi contre Rome en 1867, notre auteur raconte ces événemens avec le sens des analogies de l’histoire ; il voit revivre sous les traits modernes d’un chef de bandes en chemise rouge mainte figure du passé, maint condottiere du moyen âge, un fra Monreale, un Sforza d’Attendolo, un Piccinino, un Fortebraccio. Il n’est pas jusqu’aux mêmes scènes qui ne soient reproduites, le jour où Garibaldi entrait à cheval dans l’église de Monte Rotondo, comme autrefois Francesco Sforza dans la cathédrale de Milan, et le roi Ladislas de Naples dans l’église de Saint-Jean de Latran, après être devenu maître de la ville. Quand l’état pontifical s’effondre, après mille ans d’existence, « tombe en poussière comme une momie par l’ébranlement de la puissance allemande, » et avec lui le pouvoir temporel, c’est un dénoûment, chose aussi rare et aussi précieuse

  1. Ce Ve volume de voyages, Wanderjahre in Italien, Apulische Landschaften, 2e édit. ; Leipzig, 1880, était destiné à former le texte d’un album qui aurait reproduit tous les paysages historiques se rapportant à l’histoire des Hohenstaufen. C’eût été un ouvrage analogue au livre publié en 1819 aux frais du duc de Luynes : Recherches sur les monumens et l’histoire des Normands et de la maison de Souabe dans l’Italie méridionale. Mais il ne s’est pas rencontré en Allemagne de Mécène pour subvenir aux frais de cette publication.