universelle, sinon la bonté, fond de toute moralité ? Comme d’ailleurs le bien idéal est irréalisable en sa perfection, tout être dont nous voulons et poursuivons le bonheur nous apparaît en même temps comme incapable de le ressentir tout entier. Aussi peut-on dire, avec Schopenhauer, que la bonté enveloppe en soi la pitié, comme la joie enveloppe la tristesse. Pitié, sympathie, bonté, amour, ce sont des noms divers du bien moral. Nous voyons donc le beau se rapprocher du bien. La grâce esthétique touche à ce qu’on pourrait appeler la grâce morale par son caractère de désintéressement et de sympathie. En même temps, elle touche au sublime moral par l’idée qu’elle éveille d’une bonté sans limites, qui, ne pouvant entièrement se satisfaire, devient une pitié infinie. L’objet beau, en tant qu’il nous cause de la joie, est le symbole de l’amour universel ; en tant qu’il peut nous causer de la tristesse, il devient symbole de la pitié universelle. La psychologie peut donc accorder à Platon et à ses disciples, sans pour cela faire appel à la métaphysique du mysticisme, que c’est en définitive le bien, sous les formes les plus diverses et principalement sous la forme supérieure de la bonté, qui donne à l’objet désiré ses grâces, comme à l’être qui désire ses amours. Mêmes pensées dans Schiller et dans Schelling. La grâce, pourrait-on ajouter, est comme le cœur des choses : là où il ne se fait pas deviner, la beauté perd son charme. Si la fleur est gracieuse, c’est qu’elle semble non-seulement vivre, mais sentir et aimer ; en effet, n’est-elle pas l’organe même de l’amour, et, pour le poète, n’est-elle pas de l’amour visible ? La pierre, au premier abord, manque de grâce, parce qu’elle est inanimée ; et pourtant, si je viens à songer que cette pierre est un témoin des plus anciens âges de notre terre, qu’elle a en quelque sorte vécu de la vie même du globe, qu’elle renferme en raccourci les périodes innombrables de siècles qui ont passé en elle, la pierre même alors s’anime à mes yeux : elle s’embellit de cette grâce qui, à divers degrés, se retrouve chez tout être vivant. Bien plus, en me parlant du passé, en rappelant à mon esprit la fuite infinie des temps dont elle garde la marque, elle peut, comme la montagne même dont elle est un fragment détaché, éveiller dans mon esprit le sentiment du sublime. Toute vraie beauté est donc, soit par elle-même, soit par ce que nous mettons de nous en elle, une infinitude sentie ou pressentie.
Nous pouvons maintenant comprendre ce qu’il y a de réel, pour le psychologue, dans l’élément mystique que semblent renfermer le beau et, à un plus haut degré encore, le sublime et la grâce, qui selon nous se retrouvent, au moins en germe, dans toute véritable beauté.
Mais autre chose est d’admettre, comme nous venons de le faire, que la beauté est le symbole du bien et que le vrai bien est