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LA MORALE
DE
LA BEAUTE ET DE L'AMOUR
SALON LE MYSTICISME CONTEMPORAIN

Félix Ravaisson : la Philosophie en France au XIXe siècle.

La morale esthétique est celle qui identifie le bien avec le beau. Elle peut prendre deux formes différentes : l’une scientifique, l’autre mystique. La réduction scientifique de la beauté et de la moralité à de communes lois, — réduction que nous ne voulons pas tenter ici, — n’a point encore été sérieusement entreprise par les philosophes. Métaphysiciens et moralistes s’en tiennent de préférence à une sorte de mysticisme esthétique : ils cherchent l’origine de la beauté en général, et de la beauté morale en particulier, dans un « principe supérieur tout ensemble à la raison et à la nature, » conséquemment « surnaturel, » selon l’expression familière au représentant le plus autorisé de cette doctrine en France.

M. Ravaisson procède volontiers, dans l’exposition de ses idées, par une méthode d’intuition et de synthèse qui fournit des vues d’ensemble, des échappées sur les profondeurs des choses, plutôt qu’une analyse rigoureuse et précise. De plus, sa belle imagination métaphysique est prodigue d’hypothèses. Ce n’est pas nous qui lui en ferons un reproche, car nous croyons à la nécessité et à la fécondité des hypothèses en philosophie. Elles ressemblent à ces phénomènes de réfraction qui peuvent rendre tout d’un coup visibles des objets éloignés et inconnus. Parfois, sur la côte ligurienne, on voit les montagnes lointaines de la Corse, situées au-delà de l’horizon et ordinairement invisibles, dresser par-dessus la mer leurs pics