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Poète à ses heures, M. Gregorovius décrit en beaux hexamètres, dans son poème d’Euphorion[1], les trois aspects différens sous lesquels la mort antique lui est apparue, à Pompéi, à Rome, à Syracuse, les trois villes d’Italie qui l’évoquent avec le plus de puissance :

« Combien est silencieux, ô mort, et combien beau ton royaume, animé de joyeuses couleurs, au milieu des ruines de Pompéi, où tu semblés jouer avec une poussière d’or et des fragmens de vases brisés !

« Autre tu m’apparais dans les débris de Rome, comme un César debout qui traverse la voie Appienne et passe sous les arcs béans, muet et sombre, triomphateur du monde, dévastateur des peuples.

« Autre, dans le champ de Syracuse, où la nymphe Arethusa verse encore dans la mer ses larmes mélodieuses, en souvenir de son dieu perdu, où la pierre jaunie marque encore l’ornière des temps, où s’étendent partout des traces de tombeaux, d’aussi loin que le faucon peut dominer la plaine de son regard perçant. »

On distingue déjà le tour d’imagination de notre auteur. Il se plaît à ces alternatives d’ombres et de lumière, à ces oppositions d’antiquité et de christianisme, et à ces images de vie et de mort, que les grands peintres allemands, les Holbein, les Albert Dürer se sont plu à reproduire sous les aspects les plus divers, avec une fertilité d’imagination singulière. Il semble que, dans cette sorte de danse des morts, l’auteur se soit exercé la main pour mieux peindre le moyen âge.


II

Les livres de voyage que nous venons de parcourir ne sont pas seulement les jeux d’une fantaisie amusée, les délassemens d’un laborieux esprit attaché à son œuvre sévère : ils sont comme une préparation et une introduction à l’histoire de Rome. Pour connaître exactement la méthode qui a guidé M. Gregorovius dans ses recherches, il faut lire la préface de J. -J. Ampère à son Histoire romaine à Rome, sorte de discours de la méthode en cette matière. L’auteur du Voyage dantesque, des Portraits de Rome à différens

  1. Euphorion, Eine Dichtung ans Pompeji, 4e édit. Leipzig, 1880. Le sujet de ce poème est le dernier jour de Pompéi. Les élégies romaines de Goethe, les poésies d’André Chénier, les poèmes antiques de Leconte de Lisle, la peinture d’Alma Tadéma, peuvent donner l’idée du genre. — L’auteur raconte les amours pudiques d’un jeune sculpteur esclave avec la fille de son maître, l’homme le plus riche de Pompéi. Ils échappent à la mort qui anéantit les richesses et le rang qui les séparent, et vont vivre heureux en Égypte. Cette idylle n’est qu’un prétexte à de brillantes descriptions.