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3 mars.

Journée très intéressante passée aux mosquées, à celle d’El-Hazar d’abord, que l’on nous avait dépeinte comme assez dangereuse pour les profanes, — cette année surtout. El-Hazar est l’université musulmane de l’Orient tout entier, le nid où se recrute le plus ardent fanatisme et d’où il se répand jusqu’aux extrémités du monde mahométan. C’est ici que, des Indes, de Perse, de Ceylan, des îles de l’extrême Orient, du Maroc, les étudians viennent apprendre, prier, écouter, et ici qu’enseignent les plus fameux maîtres de l’islam. Introduits par une permission spéciale et conduits par un effendi, inspecteur des écoles, nous y pénétrons par une haute porte dorée, sculptée d’arabesques et surmontée de deux beaux minarets. Quand notre permission a été visée, revue, discutée, on nous attache des chaussons. Nous passons le seuil et nous trouvons dans une première cour étroite, où des deux côtés, sur des nattes, des barbiers accroupis rasent le visage et la tête à nombre d’étudians, puis dans une seconde, celle-ci immense. Quel fourmillement, quelle rumeur autour de nous ! Le sol entier est couvert de groupes, enfans, hommes, vieillards, assis en cercle ou seuls, ou couchés, lisant, priant, apprenant, écrivant, le tout à haute voix, car en Orient, on a la singulière habitude de lire haut ce que l’on écrit. Presque tous restent indifférens à notre passage, et je saisis peu de regards mécontens. Nous nous frayons difficilement un chemin entre ces groupes serrés à qui il serait imprudent de déplaire. Nombre de cercles sont formés autour de professeurs qui, le Coran à la main, enseignent, commentent ou dictent. Presque tous ont un étrange balancement rythmé de la tête et du haut du corps. Pour nous, qui, debout, dominons la multitude, cette ondulation générale de plusieurs milliers de têtes, de turbans blancs surtout, est bizarre et étourdissante. La clameur nous assourdit. Comment peuvent-ils entendre le maître ou comprendre leur propre leçon avec le bruit que font leurs voisins ? La cour est entourée de trois côtés par une galerie où donnent des chambres d’élèves et de professeurs. La quatrième, en face de nous, est la galerie du sanctuaire, plus vaste encore que la cour et formée de neuf travées soutenues par une forêt de piliers. Au fond, devant la niche sainte, l’iman, vêtu de rouge, est en train de faire sa prière. Partout, à terre, comme dans la cour, d’innombrables étudians, des professeurs, les uns très entourés, d’autres avec un auditoire plus restreint.

Il faut prendre garde de ne pas trébucher sur la main ou l’écri-toire de ces êtres serrés à nos pieds. Nos pantoufles flottantes