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de l’empereur Hadrien et d’une tragédie : la Mort de Tibère, une brochure sur la Pologne, qui porte la date significative de 1848. Champion des nationalités, M. Gregorovius proteste contre la souveraine iniquité du partage, véritable crime de la politique de cabinet ; il proclame le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, à n’être point traités comme un bétail vil. Il conjure la France, qui est à la tête des nations[1], de prendre l’initiative d’un congrès universel pour redresser les iniquités et relever la nation en deuil. Les peuples d’Europe n’ont pas répondu à cet appel, que l’auteur oublie de dater du royaume d’Utopie. Il n’en est pas moins honorable de crier : « Vive la Pologne ! » bien qu’elle soit morte, et chez un historien de Prusse, ce cri, tout méritoire, vaut la peine d’être noté.

A cet entraînement pour la cause polonaise devait succéder chez M. Gregorovius une sympathie si ardente pour l’Italie, qu’elle l’a conduit à Rome même, où il a vécu dix-huit années, cédant en cela, nous dit-il, à ce mystérieux attrait qui pousse les peuples du nord vers le pays « où un doux vent souffle du ciel bleu, » qui engageait au-delà des monts les barbares germains, puis les empereurs allemands, les lansquenets pillards et ceux qui venaient y chercher un plus noble butin. C’est à cet attrait que cédait Winckelmann, fils d’un savetier de Stendal, dévoré d’un enthousiasme si intense et si exclusif pour la belle antiquité, qu’il se fit catholique afin d’obtenir la protection du nonce et voir Rome : « Quand j’y arrivai, disait-il, je m’aperçus que je ne savais rien et que tous les écrivassiers sont des bœufs et des ânes. » Goethe disait de Rome : « On y lit l’histoire dans un autre esprit ; » et c’est en Italie qu’il vint renouveler son inspiration, qu’il acheva de dépouiller cette écorce qui s’épaissit autour du cœur et de l’esprit de l’homme sous les climats brumeux. Est-il besoin de citer les érudits, les lettrés, les historiens de la Rome ancienne et moderne, les Raumer, les Reumont, les Ranke, les Mommsen, venus pour écrire sur les lieux mêmes une histoire qui est celle de l’univers civilisé ? En ces dernières années surtout, les Allemands s’abattent sur l’Italie comme une nuée. Leur érudition y a pris racine : il était temps de fonder, à notre tour, notre école française à Rome, d’entrer en lice, d’engager cette lutte pacifique pour le profit de la science, dans la ville même dont le nom est le symbole de la domination du monde, alors que les historiens et les érudits allemands semblent vouloir entreprendre une seconde fois la conquête de l’empire romain.

M. Gregorovius nous représente donc l’Allemand à demi Italien, le résident littéraire de l’Allemagne en Italie ; il y a conquis droit de cité. La municipalité de Rome a décerné à l’auteur de l’histoire de

  1. Die Idee des Polenthums, p. 166 ; Kœnigsberg, 1848.