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lumière ! Nous ne pouvons que penser à eux dans nos prières et dans nos vœux.

La journée se passe douce et sereine sur la terrasse de l’hôtel, à regarder l’amusant spectacle qui charme les yeux à tout moment. Chaque incident est pittoresque, chaque détail un vivant souvenir des contes de Schéhérazade. Sous la terrasse surélevée, des groupés d’âniers accroupis fument nonchalamment leur cigarette ; le gardien arabe du trottoir, en burnous fauve brodé de soutaches d’or et au turban de soie jaune, veille à l’ordre, gravement appuyé sur sa canne.

Des marchands de toutes sortes nous offrent leurs denrées. Ce sont des éventails en plumes rouges pour aviver le feu, des chasse-mouches admirablement confectionnés. Puis des couvertures rayées du Kurdistan dont ils portent une charge sur la tête, des turquoises souvent, quelquefois des antiquités à des prix exorbitans. Voici le montreur d’animaux ; mais nous nous détournons : c’est cruel et rebutant. La pauvre chèvre, les infortunés petits chiens, l’âne savant et les misérables petits singes qui font successivement des tours, sont de vraies victimes, car l’Oriental n’a aucune sensibilité pour les animaux. Est-ce parce qu’il croit qu’ils ne sentent pas la douleur, comme on me l’a assuré ? En tous cas, il maltraite d’une manière infâme tous ceux qu’il ne redoute pas. La seule bête que nous regardons ici sans grande pitié est un gros singe cynocéphale, féroce et muselé, dont le montreur a grand’peur lui-même. De temps en temps, il fait la plaisanterie de lancer l’animal dans la foule de spectateurs arabes, qui, bouche béante, se pressent autour de la ménagerie. Le singe, ravi, se jette sur quelque fellah et d’un bond le renverse. On fuit, on se culbute, les jambes nues détalent, les gamins hurlent de rire ou d’effroi. Puis vient le montreur de bêtes immondes, et le trottoir est couvert de serpens de toutes sortes : l’aspic de Cléopâtre qui soulève en sifflant sa vilaine tête plate, des petites couleuvres grises mouchetées, des vipères cornues, les plus dangereuses de toutes ; puis, mêlés à tout cela, des sauriens, de gros lézards, des caméléons et, pis que tout, des scorpions. L’Arabe joue avec sa vilaine marchandise, rendue inoffensive, je veux bien le croire, mais répugnante. Vite quelques piastres et qu’il s’en aille !

La foule s’écoule peu à peu. Les badauds retournent lentement à leur oisiveté et à leurs cigarettes. Mais voici une rumeur inattendue. Une nouvelle foule se précipite. C’est un voleur, au turban dénoué, qui, les souliers qu’il vient de dérober dans une main, sa robe bleue retroussée dans l’autre, fuit devant des agens de police et d’autres fellahs, qui relèvent, eux aussi, leurs longues robes pour mieux courir. Notre homme les distance au tournant de