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de 180S, il en était plus d’un qui déjà n’hésitait pas à le lui décerner. On avait enfin franchi les années stériles et silencieuses qui avaient suivi l’établissement de l’empire ; les âmes s’échauffaient, et autour de ceux qui parlaient de contrôle et de liberté, il se faisait un mouvement qui attestait le réveil de plus en plus marqué des esprits. Les grandes causes de M. de Montalembert, de l’évêque d’Orléans, de M. Prévost-Paradol et de M. le duc d’Aumale avaient eu un long retentissement et avaient uni à la renaissance libérale le nom de M. Dufaure. La foule des électeurs, tenue en lisière, pouvait tarder à l’acclamer, c’était une raison de plus pour qu’un suffrage d’élite rendît hommage à son talent. La candidature de M. Dufaure à l’Académie française se produisit, à son insu, au lendemain des défenses politiques dont on redisait tout bas les plus beaux fragmens. Quand il en fut in fermé, elle était posée. Autant il mettait de soin à fuir les appels qui le pressaient de rentrer dans la vie publique, autant il fut touché du désir qui poussait ses cliens à l’avoir pour confrère. Il se souvenait d’avoir préféré la littérature au droit ; à aucune époque, il n’avait entièrement délaissé les lettres, et un commerce assidu avec les chefs-d’œuvre de notre langue tenait dans sa vie une grande partie du temps que sa profession laissait libre. En l’accueillant, l’Académie ne voyait que ses discours, sans se douter de cette part intime de sa vie.

Appelé à remplacer le chancelier Pasquier, M. Dufaure trouvait dans sa harangue de réception le moyen de tout dire. L’avocat tint à honneur d’exprimer, dès le début, son culte envers le barreau qui regarde « comme son devoir le plus glorieux de défendre, quand les circonstances le demandent et contre tout adversaire, une liberté sans laquelle l’Académie, comme le barreau, n’existeraient plus, la liberté de penser, de parier et d’écrire. » L’étudiant de 1820 ne manqua pas de rendre hommage au professeur devenu secrétaire perpétuel en invoquant le souvenir toujours présent des cours de la Sorbonne et de « ces improvisations que la tribune politique ne surpassait pas. » Enfin le politique, — tout ému de la lecture des Mémoires dans lesquels un jeune conseiller de vingt ans peint du fond du parlement l’ancienne société française, décrit la fièvre d’enthousiasme qui précéda la révolution, les déceptions et les désordres qui l’accompagnèrent, les persécutions de la terreur et « l’anarchie du directoire tempérée par les violences, » — fit un tableau de la jeunesse de M. Pasquier, qui, sans sortir des bornes de la biographie, demeure une page d’histoire.

Tout son récit est vif, animé et parfois d’une concision éloquente. On a parlé souvent de ses ironies ; ses réticences n’étaient pas moins cruelles. Il faut l’avoir entendu prononcer sa phrase sur le coup d’étal de brumaire pour se figurer l’effet qu’elle produisit sur l’assistance.