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vous écrire ; ne trahissez pas l’amitié en gardant des chiffons confidentiels ; un de mes bonheurs est de penser que je ne laisserai pas de papiers après ma mort[1]. » A qui appartient le droit de publier une correspondance formant un corps d’ouvrage ? A celui qui l’a reçue, ou aux héritiers de celui qui l’a écrite ? La question ne peut faire doute et nul tribunal n’hésitera à reconnaître que les lettres font retour à l’auteur ou à ses ayans droit du moment qu’elles sont l’objet d’une publication exclusive.

Nous pourrions dire le nom de l’inconnue et citer le pseudonyme anglais sous lequel elle entama cette correspondance dont la première lettre fut confiée à un collégien, qui la jeta à la poste en arrivant à Paris. Nous serons plus réserves et nous ne raconterons pas les épisodes auxquels il est fait ou il n’est pas fait allusion dans les deux volumes que l’on sait et qui auraient pu être plus complets ; mais nous ferons remarquer qu’il eût été convenable de supprimer certains passages injurieux pour des hommes qui ont été les collègues ou les confrères de Mérimée ; ce n’eût été qu’un acte de savoir-vivre.

Le succès qui accueillit cette publication a engagé à fouiller dans les portefeuilles ; une autre Inconnue a réuni et mis au jour quelques lettres, mais tellement insignifiantes qu’elles ont passé inaperçues. Les Lettres à Panizzi sont importantes : celles-là, du moins, ont été triées par des mains respectueuses. On comprend, à les lire, que bien des suppressions y ont été faites et ce qui en reste est d’un vif intérêt historique. Mérimée y dévoile un homme que l’on ne soupçonnait pas, car il semblait prendre à tâche de le cacher. Ce sceptique, ce cynique, ce coureur de ruelles, qui affectait avec les femmes un manque de respect où l’on trouve l’explication de ses bonnes fortunes, se révèle, dans ses confidences intimes, avec des qualités de cœur et d’abnégation que son existence apparente n’aurait pas fait soupçonner. Il ôte son masque, et le visage inspire de la sympathie. Il est courtisan, ceci n’est pas douteux, mais il est le serviteur de l’infortune et, aux mauvaises heures, il est là. Parfois, il fait la leçon, il tient tête et donne des conseils que l’on eût bien fait d’écouter. Il aime la France d’un grand amour, et, s’il est dévoué au souverain qui l’accueille et le traite avec familiarité, il ne s’aveugle pas, il voit les fautes, il constate les imprudences et ses prévisions ont la force d’une prophétie. Longtemps avant l’écroulement de l’empire, il compte les oscillations du sol, et il est pris de l’angoisse mystérieuse dont on est saisi à l’approche des

  1. Proudhon à M. Pilhes, 25 juillet 1858 ; la Correspondance de Proudhon forme quatorze volumes.