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Il avait, du reste, un goût particulier pour les langues ; il les apprenait facilement et sut en tirer parti. Dans certains cas, il eut du discernement et choisit bien ses professeurs.

Son obligeance était rare, et pour ses amis il fut serviable. C’est lui qui fit admettre Viollet-le-Duc à Compiègne et qui entreprit en sa faveur une campagne hardie. Viollet-le-Duc, qui avait une grande admiration pour Napoléon III et une admiration plus grande encore pour l’impératrice Eugénie, concentrait tous ses soins sur un petit théâtre de société que l’on avait improvisé dans un coin du château. On appréciait son adresse à dessiner les costumes et les décors. Entre temps, on entendait dire que c’était le seul architecte d’imagination, mais que la jalousie de l’Institut le tenait éloigné de l’enseignement ; et cependant qui donc devait occuper une chaire à l’École des beaux-arts, sinon cet homme qui était à la fois Vitruve et Bramante ? En attendant qu’il fût le nouveau grand-maître de l’architecture française, on lui ouvrit un crédit de quelques millions et on lui livra le château de Pierrefonds à restaurer. A ce genre de reconstitutions, Viollet-le-Duc excellait. Dessinateur d’une agilité et d’une science merveilleuses, il connaissait la période gothique de l’histoire architecturale avec une sûreté impeccable. Ses travaux de restauration de la Sainte-Chapelle et de Notre-Dame sont très beaux ; mais il ne paraît pas avoir pénétré dans l’antiquité, et ses idées en matière de constructions modernes étaient médiocres. Aussi il y eut un vif mouvement de surprise lorsqu’il fut nommé professeur à l’École des beaux-arts. Mérimée avait usé de son influence qui était sérieuse dans l’intimité de l’empereur et qui, cette fois, n’eut point un heureux résultat. Les élèves de l’École des beaux-arts furent mécontens et protestèrent. On n’en tint compte, et Viollet-le-Duc fut solennellement installé dans sa chaire, par le surintendant des beaux-arts qui était le comte de Nieuwerkerke. Au milieu des clameurs qui l’accueillirent, le professeur ne put dire un mot. Il quitta la salle escorté du surintendant et de quelques amis, au milieu desquels Théophile Gautier s’était fourvoyé ; les élèves, comme l’on dit, emboîtèrent le pas : dans la rue Bonaparte, sur le quai Malaquais, sur le pont des Arts, la foule suivait et chantait. Il est superflu de désigner l’opéra auquel elle avait emprunté sa romance, il serait injurieux de répéter les quolibets qui furent lancés. On se groupa dans la cour des musées ; Théophile Gautier voulut haranguer la cohue et faire entendre raison aux élèves de l’École des beaux-arts. Il faut toujours que force reste à la loi, aussi les sergens de ville l’arrêtèrent et le conduisirent au poste, où il fut enfermé ; la police dissipa l’attroupement ; alors on s’aperçut de la bévue et on délivra l’infortuné Gautier, qui se racontait déjà l’histoire de Lesurques. A la suite de ce scandale,