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lettres. » Préault riposta : « Homme de lettres, moi ! pas plus que vous ! » Cela n’aida pas à lui faire obtenir des travaux. Plus tard, sous l’empire, passant, un matin, sur la place du Carrousel, il aperçoit Fould, ministre d’état, et Lefuel, architecte du Louvre, qui regardaient les bâtimens couverts de statues dont le square Napoléon est entouré. Il salue ; Fould l’appelle : « Voyons, Préault, dites-nous franchement ce que vous pensez de cela. » Préault répond : « Ça, c’est un cul-de-sac héroïque. » Lefuel redressa la tête ; Préault reprit : « Trop de monde sur les remparts, mon cher ami, trop de monde sur les remparts ! » Prononcé devant le ministre d’état, en présence de l’architecte même qui avait construit le palais, le mot manquait de charité, mais il dénotait peu de gratitude, car Lefuel avait confié à Préault des travaux de décoration considérables. Il était ingénieux quand il s’agissait d’expliquer les aberrations de sa sculpture, et sous prétexte de symbolisme et d’allusion, il excusait d’inexcusables erreurs. Je lui demandais pourquoi son Marceau, qui est à Chartres, avait de grosses jambes et des genoux cagneux. Il me répondit : « Comment ! vous ne devinez pas ? C’est une façon de représenter à la fois la jeunesse de Marceau, la jeunesse de la république, la jeunesse de la nouvelle France ; regardez les jeunes chiens, ils ont de grosses pattes. » Quand il fit le Gaulois conduisant un cheval qui est au pont d’Iéna, il me dit : « Voyez, ce n’est pas un cheval ! ce sera un cheval plus tard, mais ce n’en est pas un. C’est un quadrupède tuméfié par l’humidité des marais de la Gaule ; il est préhistorique, il symbolise la période primitive de notre histoire. » Puis, comme il était de bonne foi, il se mit à rire et ajouta : « C’est Michelet qui a trouvé ce a ; il a vu tout de suite ce que j’avais voulu faire ; moi, je ne m’en rendais pas bien compte. » Sa main, mal habile, a souvent modelé du grotesque ; à propos de son bas-relief du tombeau d’Ollivier, il disait : « J’ai fait une jeune femme qui passe et qui brise une fleur ; » en réalité, a fait une cuisinière qui cueille du bouillon-blanc. Il s’insurgeait parfois contre ce qu’il appelait le mauvais vouloir du public à son égard, et, se comparant lui-même à Delacroix, il disait : « J’accomplis dans la statuaire la révolution dont il est le chef en peinture. » Erreur, qu’il eût été superflu de discuter avec lui, mais erreur capitale ! La sculpture, — cet art blanc, comme disait Louis de Cormenin, — doit être maintenue dans la précision des ligues et la régularité des contours ; la peinture peut, par le coloris, produire des impressions ou des illusions auxquelles la ligne reste étrangère. En d’autres termes, un homme vêtu parvient à dissimuler une infirmité visible, un homme nu ne le peut pas ; or, la sculpture est un art nu, même dans la draperie ; aucune coloration ne réussit à en cacher les tares.