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projets, à leurs propositions, dont le dernier mot est invariablement d’ouvrir quelque brèche nouvelle dans la vieille société française, d’ébranler quelque partie de notre organisation. Nos législateurs ne sont pas d’ailleurs difficiles sur tout ce qui s’appelle progrès ; ils votent tout pêle-mêle sans trop s’inquiéter de ce qui en résultera, de ce que deviendront toutes ces mesures qu’ils adoptent à la légère, le plus souvent sous une inspiration de parti ou de secte. On a voté enfin le divorce ! seulement il est clair qu’on l’a voté sans conviction, avec des restrictions telles qu’on a l’air d’avoir un peu le remords de ce qu’on fait, et avec de telles confusions qu’il sera peut-être assez difficile de s’y reconnaître. Plus que jamais, bien entendu, la réforme de la magistrature reste à l’ordre du jour. On a déjà voté la suppression de l’inamovibilité, l’élection des juges. Seulement, on est maintenant un peu perdu dans ce qu’on a entrepris, et tout pourrait bien finir par le plus médiocre des expédiens, par cette suspension temporaire de l’inamovibilité qui est le rêve des réformateurs habiles. Il fallait bien aussi s’occuper du serment, ne fût-ce que pour supprimer le nom de Dieu et pour bannir les croix des prétoires comme on les a bannies des écoles. On a voté la suppression du nom de Dieu dans le serment, la suppression des crucifix dans les tribunaux. C’est la fatalité du parti républicain dominant aujourd’hui : il est entraîné à tout supprimer ou à tout mettre en question, depuis les institutions militaires et la magistrature jusqu’au concordat et à l’organisation administrative.

Eh bien ! qu’on ne discute pas ces lois, ces prétendues réformes, ces actes en eux-mêmes ; qu’on n’examine pas ce qu’ils ont de réalisable ou de chimérique. Ils ont avant tout un suprême et redoutable inconvénient : ils divisent la France, ils mettent la guerre intestine dans la nation. Ils créent une situation où un parti, sous prétexte qu’il a la majorité, se croit le droit de blesser, d’irriter une partie de la population dans ses croyances, dans ses mœurs, — et tout ce qui crée la guerre intérieure, la division, affaiblit nécessairement l’action extérieure du pays. Quelle autorité peut avoir auprès des états étrangers un gouvernement né de cette situation, obligé de transiger avec des passions dont il se fait un appui, représentant des fantaisies de parti et de secte bien plus que la nation elle-même ? Les républicains d’aujourd’hui oublient qu’il y a une politique nécessaire pour les peuples qui ont à se relever d’immenses désastres, et, s’ils n’y prennent garde, c’est la république elle-même qu’ils achèveront de perdre en montrant que son règne coïncide avec des humiliations gratuites et imméritées pour la France.

Ch. de Mazade.