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où elle délibère aujourd’hui, la Porte a protesté sous prétexte que cette conférence était inutile et qu’elle suffisait à rétablir l’ordre sur les bords du Nil ; elle proteste toujours contre l’œuvre qui se poursuit sous ses yeux. Jusqu’ici, c’est elle qui garde un certain avantage, qui maintient ses positions, de sorte que dans cette inextricable crise, tout semble tourner successivement contre la politique des deux puissances occidentales. La France et l’Angleterre ont cru d’abord pouvoir se réserver le droit de régler ces affaires égyptiennes sur lesquelles elles exerçaient déjà un contrôle financier : elles ont assez tristement échoué, elles n’ont réussi, ni par leur diplomatie, ni par leur démonstration navale ; elles n’ont pas même pu protéger efficacement leurs nationaux, qui ont péri dans les massacres ou qui abandonnent cette terre devenue inhospitalière. On a voulu avant tout exclure l’intervention turque, et de toutes les interventions qui peuvent être proposées, c’est celle des Turcs qui paraît la plus vraisemblable. Au commencement, les cabinets de Londres et de Paris s’étaient flattés d’en finir avec cette question d’Égypte sans le concours de l’Europe : c’est l’Europe qui est appelée par ces cabinets eux-mêmes à dire le dernier mot du terrible imbroglio !

À quoi aboutira maintenant cette conférence qui est réunie depuis quelques jours à Constantinople, dont la Porte, d’ailleurs, n’a pas reconnu jusqu’ici l’autorité ? Tout ce qu’on peut dire ou présumer, c’est que ses décisions seront certainement prudentes, mesurées. Elles tendront, selon toute apparence, à maintenir, à confirmer la situation créée par une série de firmans et d’engagemens internationaux en Égypte. C’est la condition première en dehors de laquelle toutes les complications deviendraient possibles. Seulement ce n’est là, il faut l’avouer, que la partie la plus simple et la plus aisée de l’œuvre de la diplomatie. Les difficultés réelles commenceront le jour où les résolutions de la conférence seront connues, où il s’agira de les exécuter et de les faire respecter. D’ici là des incidens nouveaux ne viendront-ils pas déjouer tous les calculs ? La révolution égyptienne ne se sera-t-elle pas précipitée de façon à provoquer quelque action immédiate ? L’Angleterre, de son côté, après avoir partagé avec la France les mécomptes de la dernière campagne diplomatique, songerait-elle, comme on le dit aujourd’hui, à sauvegarder, sous sa responsabilité, ses propres intérêts, à mettre des forces en mouvement pour une occupation éventuelle de Suez ? C’est l’imprévu toujours possible dans une situation qui a été compliquée, compromise par bien des fautes, qui ne peut être redressée et apaisée aujourd’hui que par la vigilance attentive des gouvernemens.

Ce qui restera toujours de plus curieux, de plus caractéristique dans cette crise de l’Orient qui n’est que la suite de tant d’autres crises, c’est cette rentrée en scène si prompte, si soudaine de la puissance