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plus précise, plus restreinte, plus modeste, ne sera-t-elle pas possible ? Cela semblerait assez naturel, puisque le premier mouvement de M. de Freycinet a été de désavouer toute pensée d’intervention, d’accepter la politique de lord Granville telle qu’elle est, telle qu’elle a été fidèlement interprétée par M. Challemel-Lacour. On va s’entendre apparemment dès qu’il en est ainsi, dès que M. Gambetta n’est plus là, pour mettre le feu partout. Oui, sans doute, on s’entend. Seulement il est clair que l’Angleterre, malgré le prix qu’elle paraît toujours attacher à l’amitié avec la France, a eu le temps de s’accoutumera d’autres idées ; elle commence à chercher la solution de la question égyptienne par une intervention de l’Europe. D’un autre côté, la politique du chef de notre nouveau ministère paraît elle-même assez énigmatique, assez insaisissable. Elle n’est pas pour une intervention française, elle n’est pas non plus pour d’autres interventions. Elle est pour l’entente avec l’Angleterre, à la condition que cette entente ne serve à rien, si ce n’est peut-être à une démonstration navale inutile, aussi platonique que toutes les déclarations échangées depuis quelques mois entre les gouvernemens. M. le président du conseil se félicite dans une de ses dépêches de la conformité de vues qui existe entre Paris et Londres. Sur quoi donc est-on si bien d’accord ? M. de Freycinet assure naïvement qu’on était arrivé à cette constatation merveilleuse que les deux gouvernemens se trouvaient d’accord sur ces trois points : « 1° nous réservions notre adhésion à toute action effective ultérieure ; 2° nous répugnions à l’emploi de moyens coercitifs ; 3° nous étions contraires à l’envoi de troupes turques en Égypte. » Fort bien. Voilà deux grands cabinets qui ont réussi d’un commun effort à découvrir ce qu’ils ne voulaient pas ; il resterait à savoir ce qu’ils ont voulu, ce qu’ils se sont proposé et ce qu’ils se proposent encore. Le secret de toute cette diplomatie est malheureusement l’impuissance, et ce qu’il y a de plus clair, c’est qu’à bout de ressources et de combinaisons, les deux gouvernemens ont fini par tomber d’accord sur un dernier point qui dispense de tous les autres, — sur la nécessité de faire appel à une délibération des puissances réunies. En d’autres termes, les cabinets de Londres et de Paris se sont trouvés d’intelligence pour en finir avec cette période des affaires égyptiennes qu’on pourrait appeler la phase des agitations anglo-françaises en remettant la question entre les mains de l’Europe. Mieux aurait valu commencer par là, puisqu’on ne se sentait pas de force à conduire avec autorité jusqu’au bout une entreprise qui intéresse la paix de l’Orient.

À vrai dire, l’Europe qui vient d’entrer en scène sous la figure d’une conférence, l’Europe n’avait pas attendu l’appel venu de Paris et de Londres pour s’occuper des affaires égyptiennes. Elle semblait admettre sans doute jusqu’à un certain point, selon le mot de M. de Bismarck à l’ambassadeur britannique, que l’Angleterre et la France avaient à Alexandrie et au Caire une situation acquise qui leur donnait, non pas