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d’une robe noire agissait sur lui comme le rouge sur le taureau. Lorsqu’ils avaient réussi à exaspérer ses rancunes et que dans sa colère il lançait à l’adresse des rois et du Vatican quelque bulle fulminante, ils s’écriaient : Vous l’entendez, n’est-il pas à nous ?

Il ne pouvait suffire aux radicaux d’avoir l’homme vivant, ils ont voulu avoir le cadavre. Dans mainte occurrence, un cadavre peut servir, Marc Antoine le savait bien. Quand Garibaldi demanda que son corps fût brûlé et que ses cendres restassent à Caprera, il semblait avoir prévu le fâcheux usage qu’on entendait faire de lui après sa mort. Il est permis de regretter que ses volontés n’aient pas été respectées. La vie de ce condottiere, qui fut un homme de conviction, de ce plébéien qui aimait la dictature, de cet ami des peuples qui n’était pas démocrate, n’avait ressemblé à aucune autre ; il était désirable que ses obsèques fussent aussi originales que sa vie. Sur le piédouche de l’urne qui eût renfermé ses os calcinés, on aurait gravé cette inscription : « Voilà ce qui reste d’un homme qui fut un révolutionnaire désintéressé. Passant, chez quelque nation que le sort t’envoie, tâche d’en trouver un second. »

Les radicaux ne pouvaient s’accommoder d’une solution si mesquine ; ils ont décidé que Caprera était trop petite pour contenir une si grande tombe. Un jour ou l’autre, ils se réservent de transporter sur les bords du Tibre les restes du grand homme, de les installer dans le Panthéon ou au Capitole ou sur le Janicule. Quel qu’il soit, le lieu qu’ils choisiront est destiné à devenir célèbre dans l’histoire des révolutions italiennes ; c’est de là peut-être que partira le signal d’une grande journée. Les démagogues y viendront chercher l’esprit saint, le don de prophétie et du secours contre leurs défaillances, la foule y ressentira de mystérieux transports ; chacun rapportera de ce pèlerinage l’enthousiasme et la fièvre des illustres aventures. Tôt ou tard, n’en doutons pas, il s’accomplira quelque prodige sur cette tombe. Le ciel ait en sa sainte garde la maison de Savoie ! Elle ne peut se flatter que les miracles qui se feront sur le tombeau de saint Giuseppe Garibaldi, et qui seront moins innocens que ceux du diacre Paris, tournent jamais à son profit. Elle fera bien de se défier de l’endroit où reposeront ces dangereuses reliques et de déclarer solennellement que, de par le roi, défense est intimée à Dieu

: De faire miracle en ce lieu.


G. VALBERT.