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siècle gardera et développera encore le culte des grands hommes.

Et nous voici en présence d’un monument élevé à un guerrier et à un politique de génie par l’admiration et la reconnaissance de son pays. Une souscription nationale a été ouverte en Roumanie afin d’ériger une statue équestre à l’illustre prince de Moldavie, Etienne, qui, au XVe siècle, défendit victorieusement son peuple contre les Turcs et les autres nations voisines. L’exécution d’un pareil travail ne pouvait être mise en de meilleures mains que celles de M. Frémiet. L’éminent artiste, tout plein de l’histoire glorieuse de son héros, a composé sa statue en consultant et en mettant d’accord de nombreux documens : on peut dire que l’image qu’il en a tirée a un caractère authentique. Il a eu particulièrement égard aux chroniques de Moldavie, du Vornic Uréchia et à la correspondance du médecin vénitien Mat. Muriano. Il a connu le portrait qui est au monastère de Putna. Etienne est représenté dans un de ces momens où, après une campagne, il rentrait vainqueur dans sa capitale de Succara. Il a la couronne en tête. Il étend sur son peuple, avec un geste de protection, son sceptre en forme de masse d’arme. Le costume qu’il porte est la tunique et la chlamyde byzantines en usage alors pour les cérémonies. Un vêtement de mailles, qui paraît aux genoux, rappelle l’homme de guerre. Tout le personnage respire la force et la sérénité. Le cheval est puissant et son allure offre une noble cadence. L’unité de l’œuvre est complète : le cavalier et sa monture vivent et se meuvent dans un même instant. Sous tous les aspects, la composition se dessine avec une grande netteté. Cette statue triomphale doit être érigée à Jassy sur un emplacement élevé. De loin on en comprendra le geste, on en saluera la majesté. De loin tout homme de Roumanie reconnaîtra Etienne le Bon, le Grand, le Saint.

Dans sa signification la plus haute, la sculpture tient de l’architecture un caractère de consécration Elle est une langue et celle, entre toutes, qui se prête le mieux aux graves hommages. Le souvenir des jours heureux ou tristes l’inspire également. Elle illustre la victoire et prête une expression décente aux regrets. Ce n’est ni par méprise ni par une perversion de notre raison que nous dressons des statues là où la chance des armes nous a été contraire. Ce n’est point par un vain orgueil que nous décorons de quelque œuvre du ciseau le lieu où nous sommes restés maîtres du terrain. Ici comme là-bas nous voulons avant tout honorer ceux qui sont morts pour obéir aux lois. C’est ce qu’expriment avec une même éloquence deux beaux monumens que l’on admire à l’exposition.

Si l’on pouvait douter de la puissance du sentiment d’art et de la vertu qu’il a de donner aux œuvres leur physionomie et leur