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son parti d’aborder le costume moderne et on le fait simplement et sans artifice. Le manteau, regardé depuis si longtemps comme le complément indispensable de toute statue, le manteau, souvent invraisemblable, mais toujours complaisant, est laissé parmi les accessoires qui ont fait leur temps. On se soumet à la vérité et on s’efforce de représenter les contemporains tels qu’ils sont et les hommes d’hier tels qu’ils ont été. On se console de ce que nos vêtemens ont de mesquin par la raison que du moins ils n’ont pas l’inconvénient de fausser les proportions. Personne n’est entré avec plus de franchise et d’à-propos dans cette voie que M. Antokolsky. Cet éminent sculpteur, dont on admirait à la dernière exposition universelle les statues du Christ devant le peuple et d’Yvan le Terrible, cet artiste dont l’esprit est naturellement porté vers les plus hautes conceptions, a, cette fois, su plier son talent à un effort relativement modeste. Il nous a montré un constructeur de chemin de fer qui, une carte à la main et debout à côté d’une machine à aiguiller, réfléchit sur le tracé d’une voie. Cela est naturel, et il y a beaucoup d’individualité dans l’ensemble : c’est un portrait. L’exécution est un peu à la manière italienne, mais dans une mesure qui se justifie aisément. Qu’on ne s’y trompe pas : il faut beaucoup de volonté et de talent pour faire une œuvre aussi juste dans sa simplicité. Non loin, nous trouvons une figure remarquable : celle du grand Carnot. L’auteur, M. Roulleau, l’a obtenue au concours, et il débute ainsi d’une manière qui donne plus que des espérances. Carnot est debout, en costume de représentant du peuple, un compas à la main et livré à un travail intense de la pensée. A côté de lui est un guéridon chargé de volumes et de cartes : il pose le doigt sur Wattignies. Pour son travail, M. Roulleau s’est entouré de tous les documens, s’est heureusement inspiré de toutes les traditions : il a fait une œuvre vraiment historique. Cette statue est modelée avec talent : destinée à être coulée en bronze, elle est parfaitement entendue pour le métal. Elle sera bientôt inaugurée à Nolay, où est né Carnot : elle est digne de l’organisateur de la victoire.

L’anniversaire du 14 juillet 4789 étant devenu la fête nationale, l’attention s’est naturellement portée sur les personnages qui ont eu le plus de part au drame politique qui, commencé dans le jardin du Palais-Royal et dénoué dans la nuit du 4 août à l’assemblée nationale, eut pour péripétie le fait devenu symbolique de la prise de la Bastille. Entre tous, au premier rang, paraît Camille Desmoulins. Son apparition soudaine au milieu de la foule réunie près de la rotonde, la table qui lui servit de tribune, l’énergie de son mouvement, sa cocarde improvisée, tout cela constitue la plus vraie comme la plus vive des légendes. Cette année, elle n’a pas inspiré