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un aspect mutilé et qui semblent des débris de statues. Un buste n’est point un fragment : c’est une forme créée par l’art. On lui ôte sa dignité et sa raison en le faisant paraître comme un produit du hasard. Quand des maîtres, quand M. P. Dubois et M. Chapu, dans des portraits comme ceux de M. Baudry et de M. Barbedienne, donnent l’exemple de ce que peut l’artiste pour renouveler son talent tout en restant fidèle aux véritables principes, il n’est pas besoin d’entrer dans de longues démonstrations.

En somme, c’est à l’étude du nu que les sculpteurs se portent de préférence. En général, cette étude s’élève peu. On copie des modèles de profession et cela sans grand choix. L’habitude de mettre sa conscience à rendre telles quelles des natures obscures, dépourvues de caractère moral et, à plus forte raison, de beauté, cette habitude, contractée dès le début de la carrière, pèse aujourd’hui sur l’école française. Ah ! elle est bien revenue de ce goût pour le joli et pour l’agréable qu’elle professait au siècle dernier ! On le lui reprochait ; mais il est à craindre que nous ne laissions de notre passage une tout autre trace !

L’habitude de vivre en présence de la nudité vivante, dans le laisser-aller de l’atelier, a encore un effet singulier. Elle conduit l’artiste, peu à peu et sans qu’il en ait conscience, à l’oubli de ce qui convient, à une sorte d’indécence d’un caractère nouveau. Le nu classique, avec son aspect idéal et décoratif, arrive à une chasteté relative, qui n’est contestée que par un petit nombre d’esprits prévenus. L’antique ne fait plus école et d’ailleurs nous n’en avons pas bien la clé. Nous dirons à la décharge des sculpteurs qu’ils ne recherchent pas le caractère provocant que certains maîtres ont mis à leurs ouvrages et qui leur a donné la célébrité. Non ; nous parlons d’une inconvenance particulière qui consiste à mettre sous les yeux du public la nature sans respect d’elle-même et aussi peu soucieuse de ses mouvemens que de ses formes. Et quelles formes ! La laideur soutenue par la puissance de l’interprétation et par l’audace pourrait s’imposer à nous ; mais la misère physiologique, timide et dégradée, qui se montre alors qu’elle devrait se cacher, présente naturellement un spectacle honteux.

On entend répéter que le nu est la raison d’être de la statuaire. Cela dépend de la manière dont on le comprend. Si l’on veut dire que l’équilibre du corps et ses proportions sont des conditions essentielles de toute représentation de la figure humaine, c’est la vérité. Mats si l’on prétendait au contraire que, pour rester dans l’ordre de l’art, il faut absolument du nu, fût-ce sans raison, ce serait une erreur. Le nu peut être l’expression la plus pure et la plus noble de la sculpture, mais il se prête aussi à en être la forme la plus abaissée, il ne justifie rien.