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qu’appelés à défendre pour la première fois depuis l’empire les institutions qui avaient fait l’honneur de la France, que l’Angleterre possédait et que nous avions perdues, les deux orateurs, retrouvant tout à coup une tribune, ayant dans l’audience et au dehors, malgré les lois de presse, tout ce qui pensait pour auditeurs, se sentissent surexcités par l’aiguillon des souvenirs et la grandeur d’une telle cause. M. Berryer se surpassa. M. Dufaure, dont la logique impitoyable devant les premiers juges avait réduit à néant la prévention, recommença son œuvre devant la cour avec un succès que des extraits ne peuvent rendre parce que, dans son plaidoyer, tout se tient de telle sorte qu’un fragment ne peut être détaché de l’ensemble. Dans ce merveilleux travail d’esprit, chaque ligne est un argument, chaque phrase est un trait : il semble qu’auprès de M. Berryer, il ait voulu mettre un frein à sa parole pour ne faire appel qu’à la raison seule et ne triompher que par la dialectique. Vers la fin, cependant, il jette un regard sur celui qu’il défend, sur la France et sur les sentimens qui ont dominé son client : on sent éclater l’émotion jusque-là refoulée et dont les auditeurs notaient depuis quelque temps l’expression sur les lèvres frémissantes de l’orateur ; il ferme le dossier dont il avait disséqué toutes les feuilles ; sa tête, penchée pour lire les textes à la lueur indécise de quelques bougies, se redresse, et nul de ceux qui se pressaient sous les voûtes surbaissées de l’ancienne chambre des appels correctionnels, à la fin de cette longue audience, dans l’obscurité où ils ne voyaient éclairée que la tête de celui qui parlait, n’ont pu oublier quels accens prit sa voix, quand il montra les serviteurs et les courtisans du pouvoir absolu exaltant les bienfaits de l’autorité sans contrôle :


Au milieu de ce concert universel d’acclamations pour les bienfaits du pouvoir absolu, ne sera-t-il pas permis à un écrivain de dire les grandes choses que la liberté peut produire ? . Cet écrivain, d’ailleurs, n’aura-t-il pas dans sa situation personnelle quelque justification ? S’il a pris part lui-même aux affaires politiques, s’il y a consacré autrefois tous les efforts de sa plume et de sa parole, s’il a vécu soldat actif et vaillant du gouvernement parlementaire, en retrouvant ces institutions, en les revoyant en action dans un pays voisin, il sentira revivre tous les souvenirs de sa jeunesse, et ces souvenirs deviendront facilement des regrets.

Je ne voudrais rien dire contre mon cher et pauvre pays, mais nous avons, ce me semble, une étrange disposition. Les regrets qui s’attachent aux personnes, non-seulement nous les souffrons, mais nous les honorons. Un homme aura suivi l’empereur Napoléon sur les champs