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de Saint-Jean-de-Latran, de Sainte-Marie-Majeure, à Rome, celles de Grotta-Ferrata, de Salerne, d’Amalli, de Palerme, de Montréal, de Cefalu et vingt autres voient leurs murs se couvrir d’incrustations en émail, tandis que le sol disparaît sous des assemblages de marbres imitant les plus riches tapis. À Rome, une école d’artistes de mérite, les Cosmates, dont la vogue dura pendant plus d’un siècle, étend la mosaïque jusqu’aux ambons, aux autels, aux candélabres, sur lesquels elle incruste d’élégans ornemens stellilormes. Pour la richesse, ces vastes ensembles décoratifs du moyen âge n’ont rien à envier à ceux de l’antiquité.

Dans le travail auquel nous avons déjà fait un emprunt, M. Bayet a défini en termes excellens le rôle de la mosaïque à partir du triomphe du christianisme. Après nous avoir montré le Poussin étudiant la mosaïque de Sainte-Pudentienne, Hippolyte Flandrin s’inspirant de celles de Ravenne, il ajoute : « C’est qu’en effet les plus grossières, les plus imparfaites gardent encore une grandeur d’allure admirable ; les incorrections de détail qui les déparent ne sauraient détruire l’impression de l’ensemble, et l’on conserve le souvenir de ces figures d’une si sévère majesté dans leur immobilité hiératique. Ces qualités tiennent à la technique aussi bien qu’à la composition… Les vieux mosaïstes procédaient par grandes masses, juxtaposant les couleurs tranchées, négligeant les transitions : comme la mosaïque est vue de loin, la dureté de ces oppositions se perd dans l’harmonie générale de l’œuvre ; mais, en revanche, tout se détache avec une vigueur et un éclat incomparables. Les figures s’enlèvent sur un fond d’un bleu ou d’un or intense ; les tons nets et vifs des vêtemens forment avec ce ton uniforme un contraste puissant ; souvent, pour mieux accuser le dessin, une ligne noire indique les contours du corps et les traits du visage. Grâce à cette disposition, les personnages font en quelque sorte saillie. Dans cet emploi d’un nombre de couleurs restreint, ne faut-il voir que l’inspiration d’un goût plus sûr ? N’y trouverait on pas aussi l’ignorance des procédés qui permettent d’obtenir une plus grande variété de nuances ? Peu importe : l’art est quelquefois mieux servi par l’ignorance que par la science ; la mosaïque ainsi comprise constitue un art décoratif vraiment original. Dans le choix des compositions, les mosaïstes byzantins apportaient la même recherche de grands effets bien accusés et saisissant le regard. C’est pour cela qu’ils s’attachaient de préférence à des sujets où l’action est presque nulle, où l’on peut isoler les personnages, les ranger en ordre, de manière à ne point troubler la disposition uniforme de l’ensemble. Dans certaines scènes, on évitait même de placer plus de figures d’un côté que de l’autre, de peur de rompre