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culte trop exclusif des modèles classiques ne tarde pas à engendrer la sécheresse ; la correction dégénère en raideur : longtemps avant que le terme d’art byzantin fût devenu synonyme de stagnation intellectuelle, les derniers représentans de l’école romaine étaient réduits à répéter à satiété des formules qu’ils n’avaient plus la force de rajeunir, de renouveler.

Dans ces siècles où tant de fléaux fondirent sur l’Italie, l’invasion des Goths, les luttes entre Bélisaire et les successeurs de Théodoric, l’invasion des Lombards, la rivale de Rome, — nous avons nommé Ravenne, — eut à la fois les avantages d’une situation presque inexpugnable et ceux d’une entière indépendance vis-à-vis de la tradition. Sur ce sol arraché aux flots, dans ces marais transformés en serre chaude, la floraison fut rapide ; elle fut aussi éphémère. Les Romains étant les champions des traditions latines, les Ravennates seront ceux des nouvelles aspirations de l’Orient : ils ont eu le bonheur de jouer ce rôle cinq cents ans avant Venise, à une époque où la civilisation byzantine était encore pleine de force et de sève. Si nous examinons les grandes compositions qui ornent, aujourd’hui encore, les principaux monumens de Ravenne, le mausolée de Placidie, le baptistère des orthodoxes, Saint-Apollinaire Nouveau, Saint-Vital, nous y trouvons, à la place de la sévérité propre aux mosaïques romaines contemporaines, une originalité, une chaleur, un sentiment de la couleur et de la vie qui défient toute analyse. Les artistes ravennates sont à la fois plus habiles et plus émus que leurs confrères latins : ils possèdent à fond la technique de leur art ; leur science du modelé tient souvent du prodige, comme dans cette composition où ils ont fixé, en traits d’une sûreté et d’une hardiesse incomparables, l’image de l’empereur Justinien et de Théodora, sa trop fameuse épouse, et cependant, à chaque instant, nous les voyons consulter la nature avec cette candeur, cette tendresse, qui prêtent tant de charmes aux ouvrages de la mystique école d’Assise et à ceux du suave fra Angelico. Ici ils se plaisent à orner le sol de fleurs gracieuses, d’oiseaux au riche plumage ; ailleurs ils nous montrent le farouche législateur des Hébreux caressant une des brebis du troupeau de Jethro. C’est à ces artistes byzantino-italiens, si décriés dans la suite, que la poésie dut de ne pas mourir tout entière au milieu de l’ignorance et de la barbarie universelles.

Fondée vers la fin du IVe siècle, l’école de Ravenne célèbre ses plus éclatans triomphes dès le milieu du siècle suivant. La décoration du mausolée de Placidie, le plus ancien des monumens ravennates parvenus jusqu’à nous, peut passer pour la plus haute expression, non-seulement de l’art italo-byzantin, mais de l’art chrétien