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II

Pour qui n’a pas admiré, dans l’un des grands sanctuaires de l’Italie ou de l’Orient, à Saint-Marc de Venise, à Saint-Georges de Salonique, à Sainte-Sophie, la profusion des marbres précieux, des émaux multicolores qui scintillent sur la façade, enrichissent les portiques, les parois de la nef, la tribune, les ambons, les tabernacles, le trône de l’évêque ou du pape, et jettent leurs feux jusque sur le candélabre pascal, il est difficile de se faire une idée de la place que la mosaïque tient dans l’histoire du bas-empire et du moyen âge. Du IVe au XIe siècle, depuis le triomphe du christianisme jusqu’à la grande révolution provoquée dans les arts par Nicolas de Pise, qui a retrouvé la beauté de formes inhérente à l’antiquité, et par Giotto, qui a remis en honneur le culte de la nature, c’est dans cette branche de la peinture qu’il faut chercher l’expression la plus précise et la plus harmonieuse de la vie religieuse et politique de l’Italie et de l’empire byzantin, la forme la plus brillante de leur pensée et de leur goût. Dans ces pages splendides se traduisent tour à tour, au sud et au nord, à Milan et à Venise, à Rome et à Ravenne, à Capoue, à Salerne, à Palerme, à Montréal, à Constantinople, à Jérusalem, la piété profonde, les luttes, les conquêtes, les aspirations de siècles tourmentés et troublés, et qui ont plus d’une fois été envahis par les ténèbres, mais dont l’influence sur la genèse du monde moderne a été trop grande pour nous laisser indifférens. D’après une légende longtemps accréditée, c’est en mosaïque qu’était exécutée l’image miraculeuse du Christ qui apparut dans l’abside de Saint-Jean-de-Latran lorsque la vénérable basilique, mère et souveraine de toutes les églises du monde chrétien, fut consacrée par Constantin au culte du nouveau Dieu. C’est à la mosaïque que le pape Sixte III demanda d’affirmer, après la condamnation des nestoriens, les dogmes proclamés par le concile d’Éphèse ; c’est à elle qu’il demanda de retracer aux yeux de son saint troupeau l’histoire du peuple d’Israël, que nous admirons sur les murs de la basilique Libérienne. Théodoric réclama son concours pour perpétuer le souvenir de son triomphe : il se fit représenter la lance dans une main, le bouclier dans l’autre, entre les figures symboliques de Rome, qui lui devait un nouveau lustre, et de Ravenne, qui s’avançait vers son vainqueur, humble, éplorée, implorant sa clémence. Puis, après la domination éphémère des Goths, c’est encore à la mosaïque qu’échoit l’insigne honneur de nous transmettre l’image de Justinien, de Théodora et de leur entourage, les