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âme, suivant les ressources intimes de leur esprit, l’incertitude ou le découragement sont de courte ou de longue durée. Chose singulière ! ce sont les plus jeunes qui ont été les plus atteints ; parmi ceux-ci, il en est qui ont traversé l’empire sans avoir su se décider, traînant avec eux la fatigante image de leur désœuvrement. Les plus âgés se sont donné des missions éclatantes ou silencieuses qui ont honoré leur retraite. M. Dufaure a pris très promptement son parti : il s’est décidé à recommencer sa vie d’avocat avec une résolution peu commune qui faisait l’admiration de ses amis, non sans provoquer l’étonnement de ceux qui se sentaient trop brisés pour agir.

Bien que, sous le coup de sa douleur, il fût disposé à fuir la politique, ce fut le droit violé par la dictature qui vint réclamer sa première consultation. Les décrets du 22 janvier 1852 avaient confisqué les biens des princes d’Orléans. Ceux-ci résolurent de demander aux jurisconsultes quels étaient les moyens légaux de résister à cette violation de la propriétés Ils s’adressèrent à M. Dufaure, ainsi qu’à MM. de Vatimesnil, Berryer, Odilon Barrot et Paillet. Aucun des cinq signataires n’aurait permis qu’on recherchât ce qu’il y avait d’individuel dans leur consultation collective. Tous proclamèrent le caractère inattaquable de la propriété qui résidait sur la tête des enfans du roi Louis-Philippe, l’impuissance légale du décret de confiscation et l’admissibilité de tout recours aux tribunaux. Aussi, quand MM. Paillet et Berryer prirent la parole pour réclamer au nom des propriétaires la sanction de leur droit, quand ils protestèrent, demandant des juges contre le brutal argument d’un déclinatoire d’incompétence. M. Dufaure les assistait à, lai barre et il était présent le jour où : le tribunal donna raison au droit outragé par la force.

Si, en rentrant au palais de justice après trente années écoulées, celui qui avait porté, pour la première fois, la robe d’avocat en 1820 n’y rencontrait plus toutes les espérances de sa jeunesse, s’il ressentait la douleur des déceptions les plus amères, il y rapportait du moins avec une force presque égale l’attachement au barreau. Aussi épris de l’indépendance qu’il l’était à vingt ans, il jouissait de penser qu’il ne devrait qu’à lui-même et à ses efforts de chaque jour la prospérité des siens. Depuis dix-huit ans, la politique, en le détournant de sa profession, lui avait imposé un complet oubli de tout ce qui ne touchait pas à l’intérêt public. Lorsque, sous les auspices de son ami Paillet, il sollicitait son inscription au tableau de l’ordre des avocats de Paris, il reprenait en réalité sa vie où il l’avait laissée en 1834.

À toutes les époques, le barreau de Paris avait été le champion ou le refuge des libertés. Sous le premier empire, la robe avait couvert les cœurs les plus fiers ; sous la restauration, quand l’âge de