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aujourd’hui. Elle s’est essayée à tout au risque de se laisser entraîner aux plus dangereuses ou aux plus vaines entreprises. Elle a touché ou elle a laissé toucher à tout, à la paix des consciences, à l’armée, à la magistrature, aux lois économiques, à l’organisation administrative ; elle a eu aussi le goût des aventures militaires et diplomatiques avec la Tunisie, avec l’Égypte. Elle a eu toutes les tentations, et le résultat le plus clair, le plus immédiat de cette politique sans prévoyance et sans direction à l’extérieur comme à l’intérieur, c’est que la France, menacée dans son organisation, se trouve de plus engagée pour le moment dans ces complications égyptiennes, qui ont pris depuis quelques jours une évidente gravité, qui sont désormais une affaire européenne d’une certaine importance.

Aujourd’hui, en effet, il n’y a plus à s’y méprendre, cette affaire égyptienne prime toutes les autres. Elle prend même à l’heure qu’il est un intérêt plus douloureux par les massacres qui viennent d’ensanglanter Alexandrie, qui ont coûté la vie à nombre d’Européens et qui vont peut-être contraindre les cabinets à sortir de l’expectative, à hâter leurs résolutions. Malheureusement, il est certain que si ces affaires d’Égypte sont arrivées à se compliquer si étrangement et à prendre le caractère plus aigu qu’elles ont aujourd’hui, c’est qu’il y a eu des déviations ou des variations ou des défaillances de politique parmi les gouvernemens les plus intéressés à prévoir l’aggravation d’une crise qu’on voyait se préparer. Entre la France et l’Angleterre il y a eu manifestement des malentendus, des divergences au sujet des conditions précises d’une entente dont les deux puissances reconnaissaient la nécessité. Les tergiversations de la France et de l’Angleterre ont eu pour conséquence tout à la fois de laisser aux élémens insurrectionnels, révolutionnaires le temps de se développer en Égypte et d’offrir à la Porte des occasions d’intervenir, d’exercer ses droits de suzeraineté. La marche des événemens a provoqué l’attention des cabinets européens garans des traités généraux qui consacrent la situation de l’Égypte. Tout est allé en se compliquant par degrés, de sorte que ce qui n’était à l’origine qu’un incident, peut-être facile à prévenir ou à dominer, est devenu une affaire des plus sérieuses, jusqu’à ces dernières scènes sanglantes qui viennent d’émouvoir la ville d’Alexandrie, qui retentissent maintenant en Europe.

Précisons les faits et la part des gouvernemens dans une crise qui a visiblement déconcerté leur prévoyance, dont il est désormais difficile de calculer les suites. Cette question d’Égypte, elle n’est point nouvelle sans doute. Depuis plus d’un demi-siècle, elle a périodiquement occupé les cabinets. Il y a eu des momens où elle a failli être le prétexte, de redoutables conflagrations en Europe. Puis elle s’est apaisée, elle a été réglée par la diplomatie, qui a constitué à Alexandrie et au Caire une semi-indépendance sous la suzeraineté nominale de