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depuis tant de siècles une invincible espérance soutenait la dévotion de cette étrange race juive, qui semble avoir en Palestine encore plus d’énergie, de vitalité, de confiance en l’avenir que dans le reste du monde.

Et qui sait, après tout, si cette confiance n’est pas justifiée ? Ce n’est point à Jafet sans doute que commenceront pour les juifs des destinées nouvelles ; mais il est possible que la liberté moderne soit pour eux le signal de transformations fécondes et ressuscite le génie créateur qui les a abandonnés dans la servitude. L’histoire des Hébreux est remplie de révolutions si profondes que toutes les conjectures sont permises quand on parle du peuple à la fois le plus persistant et le moins immuable qui ait jamais existé. Il n’est pas certain que le judaïsme ait perdu toute sa force d’expansion, ait épuisé toute sa sève en poussant les deux grands rameaux du christianisme et de l’islamisme qui ont couvert l’Occident et l’Orient et qui, sous des formes différentes, ont fait triompher sa pensée dans le monde méditerranéen tout entier. D’ailleurs si son énergie morale est détruite, son énergie matérielle ne l’est pas, et dans le champ des succès pratiques, de grandes moissons lui sont encore réservées.

Les découvertes de l’érudition moderne ont totalement modifié l’idée que nous avions du peuple juif ; son passé nous est apparu bien différent de l’image que nous nous en étions formée. Le monothéisme constant, rigide, qui nous paraissait une création spontanée de son génie, qui nous semblait être né avec lui, a été, au contraire, le résultat d’une série d’évolutions où sa pensée s’est développée à travers mille péripéties morales et historiques dans lesquelles l’action des causes extérieures n’a pas eu moins de part que ses propres instincts. Il est difficile de préciser dès aujourd’hui l’influence que les différens peuples auxquels ils ont été mêlés ont exercée sur les Hébreux ; leurs premières migrations matérielles sont enveloppées du voile de la légende ; un nuage plus épais encore couvre leurs origines religieuses. Il est certain toutefois qu’en s’établissant à l’ouest du Jourdain, ils ne détruisirent pas tout d’un coup les divinités locales qu’ils y trouvèrent installées avant eux, et que leur monothéisme national se prêta à des compromis qui, plus tard, amenèrent d’heureuses combinaisons. Partis d’un polythéisme primitif, ils s’étaient élevés dans le cours de leur vie errante et agitée à une conception divine dont ils devaient tirer graduellement les plus réelles conséquences. Est-ce Moïse qui substitua au culte de El Shaddaï et aux formes très simples de la religion antique l’adoration de Yahveh ? On l’ignore ; mais le nouveau dieu, quelle que fût son origine, était incontestablement le dieu terrible et sévère du