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dégoûtante. Il faut aller bien vite se réfugier au couvent des franciscains, dont le jardin forme une sorte d’oasis au milieu du cloaque de la ville, et monter sur la terrasse qui le domine pour y retrouver la vue admirable que l’on contemplait en descendant vers Tibériade et qu’on vient de perdre en y entrant.

J’étais arrivé à Tibériade à l’heure du. coucher du soleil, et c’est le soir, à la lueur des étoiles, que je suis monté, pour la première fois, sur la terrasse du couvent des franciscains. Le paysage s’était effacé dans l’ombre de la nuit ; l’on distinguait à peine la masse imposante de la montagne qui est située derrière Tibériade et dont on admire le jour les formes puissantes et gracieuses. Le lac s’étendait devant moi ; de murmure paisible de ses petites vagues qui viennent se briser mollement sur la plage montait à mes oreilles, et le spectacle qui s’offrait à mes yeux était tellement plein de mystère et de prestige qu’il eût été difficile de ne pas en être remué jusque dans les profondeurs les plus intimes de l’âme. Le lac de Tibériade est une véritable petite mer, mais une mer dont la surface est d’ordinaire aussi pure qu’un miroir, quoiqu’on prétende qu’elle soit souvent troublée l’hiver par des tempêtes semblables à celle où les apôtres doutèrent de la puissance de leur maître et crurent qu’une force brutale allait étouffer, comme il arrive si souvent, hélas ! l’idée divine qui brillait au milieu d’eux. Sur ses bords seulement un léger flot meurt dans les galets ou se perd parmi les fleurs. Toutes les étoiles du ciel se réfléchissaient sur le lac immobile avec une telle pureté et une telle douceur féeriques qu’on eût dit qu’elles s’y baignaient, répandant autour d’elles une demi-clarté d’un effet saisissant. A une certaine distance, toutefois, l’obscurité reprenait ; la vue et l’imagination s’égaraient de nouveau dans l’ombre.

Rien ne saurait rendre l’impression de ce tableau. C’était assurément par une nuit pareille que Jésus rejoignit ses disciples en marchant sur les eaux, et jamais miracle ne se produisit dans des circonstances plus favorables ni dans un milieu plus approprié. Si sceptique qu’il puisse être, si rebelle aux illusions que la vie moderne l’ait fait, il est impossible que le voyageur contemporain qui s’attarde longuement le soir sur les bords du lac de Tibériade, pour peu qu’il soit sensible aux séductions d’une nature sans égale et à l’incomparable poésie des souvenirs évangéliques, ne croie pas apercevoir parfois, au milieu des reflets d’étoiles, une forme plus brillante encore et ne s’imagine pas, ne fût-ce qu’une seconde, que Dieu va s’avancer vers lui.

Tibériade est à la limite ide ce canton de Génézareth, qui a été le champ d’action principal de Jésus, la terre bien préparée où son âme