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pas connue au même degré sous le régime du monopole. Les professeurs de philosophie et d’histoire qui se sont formés sous l’empire ont peine à s’expliquer aujourd’hui la réserve extrême qu’observaient sur certaines questions leurs prédécesseurs de la monarchie de juillets Ils les accuseraient volontiers d’une lâche condescendance pour les préjugés cléricaux, qu’ils ont trouvés plus tolérans même dans ces dernières années, sots les ministères du 24 mai et du 16 mai. Une comparaison plus complète des temps leur ferait comprendre que l’Université n’a pu devenir maîtresse chez elle que depuis qu’elle souffre à ses côtés des concurrens maîtres chez eux.


IV

Si la question de la liberté d’enseignement a été imprudemment soulevée, il n’en est pas de même de quelques-unes des questions qui ont été mêlées au débat et dont on s’est servi pour prévenir et pour passionner les esprits. Telle est, avant toutes les autres, la question de l’éducation nationale.

Rien n’est à la fois plus tyrannique et plus chimérique, dans un pays où les lois et les mœurs sont consacré depuis longtemps la pleine liberté des opinions, que la prétention de soustraire l’éducation de l’enfant à la diversité de sentimens et de pensées qui règne parmi les familles. Il faut seulement souhaiter que le désaccord, dans de jeunes esprits, n’aille pas jusqu’à cet excès d’opposition et de haine qui prépare des combattans pour de futures guerres civiles plutôt que des citoyens concevant différemment le bien de la patrie commune, mais rivalisant de zèle pour la servir. L’unité nationale est-elle véritablement menacée par cette « séparation en deux camps hostiles de la jeunesse française, » dont on affecte de concevoir tant d’alarmes ? « Loin que le patriotisme ait quelque chose à perdre à cette prétendue division de deux Frances, dit très bien M. Bouillier, il devrait y gagner par une noble émulation entre les deux jeunesses également animées de l’amour du pays. » Il n’y a pas là un optimisme excessif. La guerre de 1870 a prouvé qu’on pouvait être élevé dans l’attente du roi légitime et du drapeau blanc et combattre bravement pour la France sous le drapeau tricolore et sous l’autorité d’un gouvernement républicain. La guerre civile qui a suivi a prouvé aussi qu’on pouvait avoir reçu là même éducation et s’entretuer sous l’empire des passions les plus sauvages. Il ne faut donc ni tout craindre de la diversité d’éducation ni tout attendre d’une éducation commune. Il n’est pas moins désirable que l’état, dans ses établissemens scolaires, se maintenant sincèrement sur un terrain neutre, en dehors