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congrégations non autorisées ne conservent leurs collèges qu’en vertu d’une tolérance précaire ou de certains accommodemens auxquels de part et d’autre on n’a pas cru pouvoir se refuser. Le nombre des établissemens où domine « l’esprit clérical » est-il sensiblement diminué ? Les collèges de l’état ont-ils beaucoup plus d’élèves ? Si la pression exercée sur les familles qui dépendent plus ou moins du gouvernement leur en a valu quelques-uns, les tiennent-ils sans partage sous leur direction intellectuelle et morale ? La « séparation en deux camps hostiles de la jeunesse française » paraît-elle près de cesser ? N’est-elle pas accrue au contraire par une division de plus en plus profonde entre les familles ? Et ces élémens de « discorde, » qui seraient, suivant M. Paul Bert, le produit le plus certain de la liberté d’enseignement, ne se sont-ils pas multipliés par l’effet même des moyens que l’on a employés pour la détruire ?

On le sent si bien que l’on n’a pas cessé, depuis deux ans, de chercher d’autres moyens plus efficaces. Deux ont été l’objet de propositions législatives. Ils ont le mérite de ne pas sortir du droit commun. Ils s’appliquent à toutes les institutions libres, laïques, ecclésiastiques ou congréganistes. Ils frapperaient aussi bien l’école alsacienne et l’école Monge que ces maisons suspectes, contre lesquelles on retourne le nom d’écoles de pestilence, inventé il y a quarante ans contre les collèges universitaires. Nous essaierons même de prouver que de telles mesures seraient surtout funestes taux institutions laïques et, parmi elles, aux institutions qui méritent le mieux de l’esprit de liberté et de progrès.

Le projet de loi qui exige de nouvelles garanties de capacité de toute personne participant à la direction, à l’enseignement ou à la surveillance dans une institution libre, ne soulève aucune objection de principe. Il ne fait qu’étendre à l’enseignement secondaire les règles suivies pour l’enseignement primaire[1]. Les garanties que l’on demande sont de deux sortes : des grades universitaires et un certificat d’aptitude pédagogique. Elles sont empruntées aux dispositions législatives que la monarchie de juillet avait préparées sur la liberté de l’enseignement secondaire, et c’est un héritage que la république actuelle peut s’approprier sans renier ses prétentions libérales. Il y a toutefois cette différence que le projet de 1844 était destiné à régir un état de choses tout nouveau, tandis que celui de 1882 va porter le trouble dans un état de choses consacré par une longue possession. Il y a, d’un autre côté, cette objection capitale

  1. Ce projet de loi vient d’être le sujet, à la chambre des députés, d’une brillante discussion, qui a fourni à M. Mézières l’occasion de défendre éloquemment l’Université ; mais l’Université aurait-elle besoin d’être défendue si l’on n’avait pas, sans son aveu et contre le sentiment de ses membres les plus éclairés, menacé ses rivaux dans la jouissance d’une liberté dont ils sont en possession depuis plus de trente ans ?