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ait été posée depuis longtemps par d’excellens esprits : quel est le meilleur jury pour cet examen final, qui à travers toutes ses transformations a toujours été plus funeste qu’utile aux bonnes études ? Il eût été infiniment plus opportun de résoudre cette question que d’agiter, dans un esprit illibéral et tracassier, celle de la liberté d’enseignement et des certificats obligatoires.

A toutes les difficultés que l’on a rencontrées ou que l’on s’est créées dans tous les ordres d’enseignement est venue se joindre une dernière complication. Dans le temps même où toutes les réformes effectuées ou projetées exigeaient un accroissement considérable du personnel enseignant, les plus ardens promoteurs de ces réformes se sont avisés que le recrutement déjà si insuffisant des instituteurs et des professeurs se faisait aux dépens de celui des soldats, et ils ont invoqué, non pas les besoins de l’armée, mais « l’égalité démocratique, » pour faire cesser une anomalie aussi choquante. Des congrès pédagogiques ont émis des vœux dans ce sens. Des professeurs ont écrit à M. Paul Bert pour lui exprimer l’humiliation que leur causait le maintien d’un privilège dont ils avaient cependant très volontairement profité. On oublie en effet que la dispense du service militaire n’est pas imposée aux membres du corps enseignant. Ils peuvent la rejeter soit au début, soit au milieu de leur carrière universitaire. Beaucoup l’ont fait pendant la dernière guerre et plus d’un dossier d’instituteur ou de professeur a pu se terminer par la mention : Tué à l’ennemi. Toute la question est de savoir si un patriotisme bien entendu doit exiger, s’il doit même encourager, en temps de paix surtout, l’abandon du service pédagogique pour le service militaire. Si j’avais reçu les mêmes confidences que M. Paul Bert, j’aurais répondu à mes correspondans : « Le sentiment auquel vous obéissez vous honore, mais il se trompe d’objet. Réservez pour vos utiles fonctions l’ardeur de votre patriotisme. Quelques milliers de soldats de plus, retenus sous les drapeaux pendant un an ou même pendant trois ans, ne sont pas une compensation suffisante pour des milliers de maîtres enlevés aux écoles et aux collèges. Vous le savez d’ailleurs mieux que moi, votre métier vaut celui du soldat pour le dévoûment, pour la fatigue morale et physique, et j’ajouterais même pour le sacrifice de la vie, car il n’est pas de fonctions où les forces s’usent plus vite, où l’âge légal de la retraite soit plus tôt devancé par une mortalité prématurée. Ne croyez donc pas et ne laissez pas dire autour de vous que vous jouissez d’un privilège. La vraie égalité, dans un état bien ordonné, n’est pas l’uniformité, mais l’équivalence des services. Tant qu’il sera plus difficile de satisfaire aux besoins de l’enseignement qu’aux besoins de l’armée, nul devoir patriotique, nul