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une femme tout de noir habillée qui contemple Paris du haut de l’Arc-de-Triomphe. Afin de bien exprimer l’effet du vertige, M. Béraud a imaginé de représenter les boulevards, les arbres, les maisons, les édifices non tels qu’ils sont, mais tels qu’ils paraissent à une personne prise de vertige. « Tout tourne, » comme dans le refrain du perroquet. Les Champs-Elysées tracent des zigzags, l’avenue de Friedland dessine une ligne serpentine, les maisons chancellent, Notre-Dame perd l’équilibre, l’obélisque s’incline devant la colonne Vendôme, qui répond courtoisement à son salut, le dôme des Invalides penche comme la tour de Pise, et le nouvel Opéra fond au soleil comme une pièce montée. C’est la danse de Saint-Guy des monumens.


VII

Le paysage, qui touche à la peinture d’histoire quand l’Albane y met ses danses de nymphes et Poussin ses bergers d’Arcadie, confine à la peinture de genre lorsque MM. Adrien Moreau, Emile Adan, Beauverie, Dupain, Louis Leloir, le peuplent de leurs petits personnages. Le Retour de fête, de M. Adrien Moreau, est une toile qui charme par son impression recueillie et mélancolique. Deux barques manœuvrées à la godille et portant des cavaliers et des jeunes femmes de l’époque de Louis XIII descendent de conserve le cours de l’eau. La nuit tombe ; déjà ses ombres mystérieuses s’étendent sur la rivière et sur les coteaux boisés qui la bordent. On est pris aussi par la douce mélancolie du Soir d’automne, de M. Adan. D’une terrasse, plantée de gros ormes et jonchée de feuilles mortes, une jolie châtelaine regarde au loin la campagne dénudée, qu’éclairent les pâles rayons d’un soleil couchant de novembre. Les arbres et le mur de la terrasse, construits avec beaucoup de solidité, accusent d’autant plus l’étendue et la profondeur du paysage. Dans la Récolte des pommes de terre, de M. Beauverie, c’est encore un crépuscule, mais le chaud crépuscule de l’été. Le soleil qui va disparaître à l’horizon jette ses reflets d’or sombre sur les travailleuses attardées ; l’une d’elles, tout debout, son panier à la main, se profile en silhouette sur le ciel avec le style d’une figure antique. M. Dupain ferait bien d’adoucir le coloris trop brillant de ses deux Parisiennes en villégiature qui ont imprudemment détaché un bachot du rivage et sont emportées au fil de l’eau. D’autre part, M. Louis Leloir ne ferait pas mal de corser la couleur de sa Dernière Gerbe. Cette barque, toute fleurie et enrubannée, et décorée des trophées de la moisson, semble peinte en tapisserie.

Les paysages proprement dits, plaines, vallons et forêts, où les figures sont absentes ou n’existent qu’à l’état accessoire, abondent