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l’universalité des citoyens, en un mot de faire baisser pour tous le prix de l’existence. De là à jeter un œil d’envie sur les possesseurs des grands réseaux, à soulever là question de la propriété et de l’exploitation des chemins de fer, la pente était naturelle, et comme témoignage de ces dispositions hostiles, on a vu reparaître les projets de concurrence déjà connus, d’affermage des chemins de fer à prix réduits, et, signe des temps, la demande de concession d’une ligne directe de Calais à Marseille, comme il y a dix ans.

Bien qu’une polémique très vive se soit engagée sur les questions soulevées à cette occasion et ait donné lieu à de très remarquables travaux[1], tant sur le danger du rachat des chemins de fer et de leur exploitation au point de vue de la prospérité des finances de notre pays que sur les droits et les devoirs des grandes compagnies pour l’établissement des tarifs, comme aussi sur le contrôle et la surveillance du gouvernement, nous ne croyons pas à de sérieuses modifications de la situation actuelle, mais nous ne saurions cependant dissimuler le désir que de promptes mesures soient prises pour l’améliorer à nouveau, et nous croyons que ce résultat peut être aisément obtenu par une nouvelle entente entre les compagnies et l’état, ainsi qu’en témoigne le traité que M. le ministre des finances vient de passer avec la compagnie d’Orléans.

La mesure radicale qui consiste à faire racheter par l’état aux compagnies l’ensemble de leurs réseaux a perdu tout crédit depuis que les pièces du procès ont été mises sous les yeux du public. Au point de vue financier, elle ne supporte plus l’examen. L’état aurait à payer aux obligataires l’intérêt et l’amortissement de leurs créances et aux actionnaires des dividendes égaux au moins à celui de la dernière année d’exploitation ; or l’année 1881 présente d’excellens résultats qu’il serait très onéreux de prendre pour base du rachat. Enfin les compagnies devraient être remboursées du prix de tout le

  1. Si le lecteur voulait recourir aux publications les plus autorisées qui ont paru dernièrement, il y aurait lieu de lui indiquer en première ligne le travail de M. Léon Say, qui a victorieusement démontré l’impossibilité du rachat des chemins de fer par l’état au point de vue de l’équilibre budgétaire, et celui de M. Krantz, après lequel le système de l’exploitation par l’état ne peut plus être défendu. M. Paul Leroy-Beaulieu, M. Emile Level, d’autres encore ont soutenu les mêmes conclusions par les argumens les plus solides ; M. Aucoc, dans ses leçons à l’École des ponts et chaussées et dans ses livres, a exposé avec une autorité irréfutable, les droits de l’état sur l’établissement des tarifs et le rôle de l’administration dans le contrôle et la surveillance des chemins de fer. On trouverait encore, dans un livre récent de M. Mathieu-Bodet sur les finances de la France depuis 1870, les détails les plus complets sur les sacrifices consentis en faveur des chemins de fer. Nul sujet, en aucun temps, n’a été plus mûrement étudié que celui dont nous prétendons Seulement exposer les points principaux et en quelque sorte reproduire l’esprit général, à l’adresse des personnes les moins initiées aux formules techniques, mais auxquelles il est cependant utile de faire comprendre la portée de résolutions qui intéresseraient leur fortune à tant de titres.