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remarquer que la violence romantique de certaines expressions, en ce joli badinage, allait au-delà du genre de Marivaux. L’auteur, pour y contredire, est trop parfaitement lettré ; d’ailleurs on le savait déjà contemporain de Musset : j’imagine qu’il avoue le crime, et que s’il a inscrit sous le titre cette indication modeste, c’était seulement pour atténuer l’importance de l’ouvrage. Ce n’est en effet qu’un divertissement imaginé, voilà quatorze ans, pour la cour de Compiègne, exécuté par de grandes dames fort aises de se coiffer en poudre pour réciter de fine prose et de retourner contre les veufs, avec l’aide d’un véritable ami des femmes, les traits malicieux décochés contre l’inconstance des veuves depuis l’immémoriale légende de la matrone d’Éphèse. Publiée ici même en 1868, cette petite comédie en deux actes et trois tableaux avait été représentée récemment, dans une fête de bienfaisance, par Mlles Baretta et Reichemberg, MM. Worms, Coquelin cadet et Baillet. Il se comprend que M. Perrin, la trouvant toute prête, l’ait réclamée à son usage. Le tour en est aimable et doucement ironique ; le dialogue a de la grâce, de la mélancolie, de l’enjouement ; la langue est ingénieuse, spirituelle et vive et point embarrassée, — comme il arrive en ce genre, — de marivaudage trop filant. Pourquoi faut-il que les comédiens ordinaires de la république, héritiers en ces rôles des comédiens extraordinaires de l’empire, aient mené ce menuet littéraire avec tant de solennité ? Leur componction a fait paraître ces trois tableaux un peu longs. Même M. Worms, exquis en ce personnage du veuf inconsolable et si vite consolé ; même M. Coquelin cadet, fort plaisant sous la livrée de ce libertin pleureur à gages, n’échappent pas à ce reproche. Pourquoi surtout Mlles Baretta et Reichemberg, ces deux ingénues, dans ces rôles si nettement marqués de grande coquette et de soubrette ? Elles sont charmantes l’une et l’autre, mais tout à fait déplacées ; elles affadissent la pièce et la rendent monotone. Le discernement des « emplois, » pour parler en régisseur, n’est pas une vaine exigence des pédans. Que ces demoiselles n’en tiennent pas compte lorsqu’elles jouent au dehors, par plaisir ou par charité, à merveille : même par charité, c’est encore une façon de s’amuser ; mais justement les mêmes raisons, qui font que ces changemens les amusent, font qu’elles devraient se les interdire sur la scène de la Comédie.

Est-ce donc que la Comédie n’a plus une grande coquette ni une soubrette ? Grâce à Dieu, ce n’est pas vrai. Nous avons encore, pour remplacer Mlle Croizette, — qui. elle-même, pendant plusieurs années, a tenu la place de plusieurs autres, — nous avons Mlle Tholer, comme Mlle Dudlay pour succéder à Mlle Sarah Bernhardt. Si personne n’occupe l’emploi de Mme Plessy ou de Mme Favart, nous avons Mlle Kalb dans celui de Mlle Augustine Brohan ; c’est quelque chose, — et