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et du Mariage de Victorine, — du Fils naturel et du Demi-Monde. Après un temps d’épreuve au Gymnase ou au Vaudeville, l’ouvrage le plus dangereux devient présentable aux honnêtes gens ; il est rassis, calmé, tout à fait sage, et, pourvu qu’il fût bon, il paraît ce qu’il était.

Déjà, par cette seconde expérience, il est clair que le temps a commencé, pour Madame Caverlet, son œuvre de consécration. L’admiration des connaisseurs échauffe le respect du public ; et le malentendu qui, d’abord, offusquait les beautés de l’ouvrage, semble tout près de se dissiper. Est-ce en effet pour des raisons d’art que les gérans de la maison Molière s’étaient défiés de cette comédie ? Est-ce parce qu’elle est d’aspect un peu terne et austère, comme traitée en grisaille, et, par endroits, pour mettre les choses au pis, d’apparence un peu suisse ? Mais justement la Comédie-Française peut donner, même à une pièce médiocre, le vernis qui manquait à celle-ci, qui ne l’est pas. Non, ce n’est pas le coloris du tableau ni le détail de l’exécution, mais le sujet même, le choix des personnages et de leurs actes, que MM. les sociétaires avaient jugé suspect, et de fort honnêtes gens, pour trancher le mot, proprement scandaleux. A vrai dire, ce n’était pas, quoiqu’on s’y attendît, une plaidoirie pour le divorce, ou du moins ce n’était qu’une plaidoirie en action ; ce n’était pas une thèse, mais un drame ; rien n’y sentait la déclamation, ni même le discours, — c’est tout un au théâtre ; — les caractères étaient choisis pour une action déterminée, mais ils vivaient cependant et les personnages n’étaient pas les porte-voix d’un homme ; la moelle était dans l’os, mais l’auteur n’avait eu garde de l’étaler en tartines. L’idée animait l’ouvrage, sans être elle-même visible et exposée aux coups ; l’irritation de ses adversaires n’en était que pire : point de tirade où se prendre, point d’argument à rétorquer ; rien que l’irréfutable logique des sentimens et des situations ; à peine de ci, de là, comme des points lumineux, quelques mots qui dirigent la pensée du spectateur, mais dramatiques pourtant et aussitôt suivis d’autres qui ne sont rien que dramatiques : une lanterne sourde qui, aux tournans du chemin, éclaire la route sans découvrir celui qui la porte.

Mais, si le tableau n’a pas de légende où personne puisse s’attaquer, il est par lui-même un objet de scandale. Qu’est-ce au demeurant ? Un tableau d’intérieur, et même de famille ; mais de quelle famille et dans quel intérieur ? On l’a dit heureusement : « C’est la vraie famille dans le faux ménage. » Le spectacle imprévu de cette vertu dans le vice offense les hommes d’ordre. Non, s’écrient-ils, cette prétendue alliance du bien et du mal n’existe pas ; elle est monstrueuse, et partant chimérique ; votre héroïne, quoi que vous disiez, n’est pas « une sainte, » ni « un ange ; n la vue de ce jeune homme et de cette jeune fille, élevés par l’amant de leur mère et vivant sur la foi d’une fraude