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« Solidarité. » Quand les grands cataclysmes fondant sur les peuples les rappellent au sentiment de la vanité des choses humaines et à la fragilité des biens terrestres, ils viennent se prosterner au pied des autels en murmurant le nom du Seigneur. C’est dire que, lorsque la grande aristocratie portugaise, la noblesse d’épée, et ces fidalgos enrichis par le commerce et les relations avec les colonies, voyaient s’épuiser leurs ressources et cherchaient les moyens de faire face aux nécessités de la vie en aliénant tous les objets d’or et d’argent qui ! ornaient leurs demeures, les associations religieuses pouvaient dominer ces terribles événemens et conserver intact leur patrimoine, comme ils ont pu le dérober aux investigations des envahisseurs. D’ailleurs, chaque nouveau fléau leur rendait au centuple ce qu’ils avaient perdu, grâce à la piété des princes, à la générosité des grands et à la magnificence des pontifes et des prélats.

Ainsi s’explique l’énorme quantité de pièces d’orfèvrerie qu’on nous a présentées et l’importance exceptionnelle de quelques-unes : telles le triptyque en repoussé de Guimarens, œuvre extraordinaire dont on regrette de ne pouvoir présenter une image au lecteur. On a d’ailleurs dans les archives la liste des présens offerts par les princes et les prélats en de certaines occasions, et, en lisant ces énumérations, on comprend que les trésors des établissemens religieux du Portugal devaient égaler en richesse ceux des sanctuaires les plus célèbres de l’Europe.

Il faut retirer un enseignement de ces grandes expositions où on embrasse d’un seul coup l’art de tout un pays dans toutes ses transformations successives ; mais nous avons ressenti, en franchissant pour la première fois le seuil du palais de Pombal, une impression singulière, un trouble réel et une véritable confusion d’idées, et nous sommes convaincu que tout voyageur, artiste, historien ou écrivain d’art qui se fût trouvé subitement transporté en face de ces objets de provenance portugaise, qui constituent l’ensemble de la richesse d’art du pays, eût ressenti une impression identique à celle qui nous a frappé. De longues années d’études spéciales, des voyages nombreux, quelque pratique des musées et des collections de l’Europe, permettent d’ordinaire de rattacher à première vue un monument à un temps, à une école et à une région. Ici tout ce bagage de connaissances et de traditions devient inutile ; c’est en vain qu’on cherche dans ces mille objets d’une même origine des signes identiques qui, se reproduisant par périodes, vont permettre d’établir la chronologie, on hésite, et, définitivement, on ne peut déterminer sûrement ni les provenances ni les caractères. Que si, par hasard, trompé par les apparences, on assigne une date précise à un monument, la légende gravée donne un démenti incontestable ; si on cite un