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entreprises par la France sous le gouvernement de Napoléon III, nous trouvons les chiffres suivans pendant les années qui ont été signalées par ces guerres :


Excédent des naissances sur les décès Excédent des décès sur les naissances.
Guerre de Crimée (1854) « 69,318
Id. (1855 « 35,606
Guerre d’Italie (1859) 38,563 «
Guerre d’Allemagne (1870) « 103,394
Id. (1871) « 444,594

Donc, pour ces cinq années de guerre, il y a eu finalement un excédent de décès sur les naissances de 614,341. Soit un excédent annuel de 122,668.

Or, si l’on prend l’excédent annuel moyen des naissances sur les décès pendant les vingt-sept années autres que les années de guerre (de 1850 à 1878), on trouve qu’il y en a eu en moyenne, 130,589 naissances annuelles excédant les décès.

On peut maintenant calculer sans peine ce que les cinq années guerrières (1854, 1855, 1859, 1870 et 1871) nous ont fait perdre d’hommes. C’est d’abord 614,341 par excédent des décès sur les naissances. Mais il faut ajouter à ce chiffre l’excédent normal des naissances sur les décès pendant cinq ans, c’est-à-dire le nombre d’individus qui seraient nés s’il n’y avait pas eu de guerre, soit : 652,935. C’est donc une perte totale de 1,267,276 individus ; perte qui est due uniquement et exclusivement à la guerre[1].

Et encore nous n’envisageons pas les conséquences lointaines qu’entraînent les guerres. Tous ces jeunes soldats, que les maladies, plus encore que le feu de l’ennemi, ont fait tomber avant l’heure, auraient sans doute, s’ils étaient rentrés dans leurs foyers, pu contracter des unions fécondes. Aussi leur mort a-t-elle privé la nation de ses générateurs les plus efficaces. Les grandes guerres du commencement du siècle qui ont pesé surtout sur la France ont certainement épuisé la nation, et nous nous ressentons encore à l’heure présente de ces tueries du temps passé.

Pour un peuple, une guerre est donc un fléau dont les ravages s’exercent, non-seulement pendant qu’elle dure, mais encore

  1. La perte de l’Alsace et de la Lorraine nous a privés de 1,634,662 compatriotes. La Savoie et les Alpes-Maritimes formaient en 1861 une population de 737,113 habitans. Voilà en définitive ce que les guerres nous ont rapporté : la perte de deux millions d’hommes, un million d’hommes par l’excédent des décès, un million d’hommes par la soustraction de deux provinces. Il est vrai que nous ne tenons pas compte de la gloire.